Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/72

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pre cheval, que le quaker ne pouvait continuer sa route, sans s’enfoncer dans la fondrière, ou gravir le banc de sable : or il ne lui était pas possible de tenter l’un ou l’autre, sans s’exposer à un péril qu’il ne semblait pas disposé à courir. Il s’arrêta donc, comme pour attendre que mon compagnon lui fît de la place ; et, tandis qu’ils restaient ainsi l’un vis-à-vis de l’autre, je ne pus m’empêcher de penser qu’ils formaient un assez bon emblème de la paix et de la guerre ; car, bien que mon hôte fût sans armes, pourtant toutes ses manières, son sévère regard et l’aplomb avec lequel il se tenait à cheval, dénotaient un militaire sans uniforme. Il accosta le quaker avec ces mots : — « Holà ! ami Josué : — tu es de bonne heure en route ce matin. L’esprit t’a-t-il inspiré à toi et à tes justes frères d’agir avec quelque honnêteté, et d’ôter les filets qui empêchent le poisson de remonter la rivière ?

— Non certainement, ami, » répondit Josué avec fermeté, mais en même temps avec un ton de bonne humeur. « Tu ne dois pas t’attendre à ce que nos mains défassent ce que nos bourses ont fait. Toi, tu prends le poisson avec épieux, lignes et pièges ; nous, c’est avec des embûches et des filets que font agir le flux et le reflux de la marée. Chacun fait ce qui lui semble le mieux pour s’assurer une part des biens que la Providence a répandus dans la rivière, et ce, en se renfermant dans ses limites. Je te prie de ne pas nous chercher querelle ; car tu ne souffriras aucun tort de notre part.

Sois assuré que je n’en souffrirai de la part de personne, repliqua le pêcheur, que son chapeau soit retroussé ou à larges bords. Je vous le dis sans détours, Josué Geddes, vous et vos associés, vous employez un moyen illégal, pour détruire le poisson dans la Solway, avec vos filets à pieux et vos réservoirs ; et nous, qui pêchons loyalement et en hommes, comme ont pêché nos pères, nous avons chaque année, chaque jour, moins d’amusement et de profit. Ne croyez pas que la gravité, ou l’hypocrisie, vous tire désormais d’affaire comme autrefois. Le monde vous connaît, et nous vous connaissons. Vous voulez détruire le saumon qui fait vivre cinquante pauvres familles, puis vous essuyer les lèvres, et aller faire un discours à la réunion. Mais n’espérez pas qu’il en soit toujours ainsi. Je vous en avertis, nous tomberons sur vous un matin, et nous ne laisserons pas un seul pied debout dans les eaux de la Solway. La marée descendante les