Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/77

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en ce moment même fondre sur ce troupeau, les pauvres bêtes iraient sans doute chercher une protection autour du berger et de son chien ; pourtant elles sont chaque jour mordues et poursuivies par l’un, tondues, égorgées, puis mangées par l’autre. Je dis cela sans intention de te blesser : car, quoique les lois et les avocats soient des calamités, ce sont pourtant des calamités nécessaires dans cet état provisoire de la société, jusqu’à ce que l’homme apprenne à rendre à son semblable ce qui lui est dû, en cédant au seul témoignage de la conscience, et ne se laissant influencer que par elle. Cependant j’ai connu bien des honnêtes gens qui ont rempli avec honneur, et sans jamais faillir, la profession que tu veux embrasser. Le mérite est bien plus grand, lorsqu’on marche droit dans un sentier si glissant.

— Et la pêche, vous trouvez encore à redire à cet amusement, vous qui, si j’ai bien compris ce dont il s’agissait entre vous et mon hôte d’hier, êtes vous-même propriétaire de pêcheries.

— Propriétaire ! non pas, répliqua-t-il, je suis seulement, de compagnie avec d’autres, fermier ou locataire de quelques bonnes pêcheries de saumon, un peu au-dessous de cet endroit, près de la côte. Mais comprends-moi bien. Le mal que je trouve dans la pêche, — et j’en dis autant des autres amusements, comme les appelle le monde, qui ont pour but et objet unique les souffrances des animaux, ne consiste pas dans l’action de prendre et de tuer les êtres que la bonté de la Providence a placés sur la terre pour le bien de l’homme, mais de faire de leur longue agonie une source de délices et de jouissances. Il est vrai que je fais exploiter ces pêcheries dans le but nécessaire de prendre, de tuer et de vendre le poisson, tout comme, si j’étais cultivateur, j’enverrais mes moutons au marché ; mais d’ailleurs, j’aimerais tout autant chercher mon plaisir et mon amusement dans le métier de boucher que dans celui de pêcheur. »

Nous ne discutâmes pas plus long-temps ; car, quoique je trouvasse ses arguments un peu outrés, comme ma conscience m’absolvait du crime de m’être complu à rien autre chose qu’à la théorie de ces amusements, je ne me crus pas obligé à défendre obstinément la pratique qui m’avait procuré si peu de plaisir.

Cependant nous étions arrivés aux restes du vieux poteau que mon hôte m’avait déjà montré comme marque de la route. Là, un mauvais pont de bois, soutenu par de longs pieux ressemblant à des béquilles, me servit à traverser l’eau, tandis que le quaker