Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/144

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coup auprès de Sybilla ; et l’empereur, qui avait alors conçu la vaine idée de reconquérir son autorité première sur les montagnes de la Suisse, désira se montrer généreux envers Albert, qu’il regarda comme un homme chassé de son pays pour avoir épousé la cause impériale. Vous pouvez voir ainsi, très noble roi Arthur, qu’Anne de Geierstein, unique fruit de leur mariage, ne sort pas d’une souche commune, et que les circonstances dans lesquelles elle peut être intéressée ne doivent être ni expliquées ni jugées à la légère, ou sur les mêmes fondements que s’il s’agissait de personnes ordinaires. — Sur ma parole, seigneur Rudolphe Donnerhugel, » dit Arthur, s’efforçant avec soin de maîtriser son émotion, « je ne puis tirer de votre récit d’autre conclusion, sinon que l’Allemagne, comme tant d’autres pays, ayant eu des gens assez sots pour attacher l’idée de sortilège et de magie à la possession de la science et du savoir, vous êtes, par suite, disposé à diffamer une jeune fille qui fut toujours respectée et chérie de ceux qui l’entourent, en l’accusant d’être instruite dans les arts qui, suivant moi, sont aussi extraordinaires qu’illicites. »

Rudolphe réfléchit un instant avant de répondre.

« J’aurais désiré, dit-il, que vous fussiez satisfait en apprenant que le caractère général de la famille maternelle d’Anne de Geierstein offre certaines circonstances qui peuvent expliquer ce que vous avez, dites-vous, vu cette nuit, et je ne suis, en vérité, nullement disposée entrer dans de plus amples détails. La réputation d’Anne de Geierstein ne peut être à personne si chère qu’à moi. Je suis, après la famille de son oncle, son plus proche parent, et si elle était restée en Suisse, si elle devait, comme il est fort probable, y revenir, peut-être les liens qui nous unissent déjà se resserreraient-ils encore davantage. Notre union n’a trouvé d’obstacle que dans certains préjugés de son oncle relativement à l’autorité de son père, et à notre proche parenté, qui au reste peut s’évanouir devant une dispense qu’il est aisé d’obtenir. Mais je ne vous parle ainsi que pour vous montrer combien je dois plus m’intéresser à la réputation d’Anne de Geierstein qu’il ne vous est possible de la prendre à cœur, vous, étranger, qui n’êtes connu d’elle que depuis peu de temps, et qui devez bientôt la quitter pour jamais, si je comprends bien votre projet. »

La tournure que prit cette espèce d’apologie irrita tellement Arthur qu’il fallut toutes les raisons que lui recommandait le sang-froid pour qu’il pût répondre avec un calme affecté.