Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/291

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absent de mes yeux ni de ma pensée ? — Chut, chut, ma fille ! n’ajoute pas le comble de la folie à l’excès de l’imprudence ; mais réfléchissons à ce qu’il convient de faire. Dans notre intérêt, dans le sien propre, cet infortuné jeune homme doit quitter le château à l’instant. — Alors vous aurez la complaisance de faire votre message vous-même, Anne… pardon, je voulais dire très noble baronne… Il peut être fort convenable pour une dame de haute naissance d’envoyer de pareils messages, et j’ai entendu les ménestrels dire dans leurs romances que la chose se pratiquait ainsi ; mais il ne me sourit guère de le porter, à moi ni à aucune fille de Suisse au cœur franc. Plus de folie, mais rappelez-vous que, si vous êtes née baronne d’Arnheim, vous avez été nourrie et élevée au milieu des monts helvétiques, et que vous devez vous conduire en demoiselle bonne et sensée. — Et en quoi votre sagesse censure-t-elle ma folie ? ma chère Anne, répliqua la baronne. — Ah ! Oui vraiment ! notre noble sang s’agite dans nos veines, je crois ! mais souvenez-vous, ma bonne dame, du marché que nous fîmes, lorsque je quittai mes belles montagnes et l’air libre qui souffle autour d’elles, pour m’enterrer dans ce pays de prisons et d’esclaves, savoir que je vous dirais ma façon de penser aussi librement que quand nos têtes reposaient sur le même oreiller. — Parle donc, » dit Anne détournant à dessein son visage en même temps qu’elle se préparait à écouter ; « mais tâche de ne rien dire qu’il ne me convienne d’entendre. — Je parlerai selon la nature et le sens commun, et si vos nobles oreilles ne sont pas faites pour écouter et comprendre mes paroles, à elles en est la faute et non à ma langue. Voyez, vous avez sauvé ce jeune homme de deux grands périls… l’un, lors du tremblement de terre à Geierstein ; l’autre, aujourd’hui même où sa vie était menacée. Il est beau, s’exprime bien, possède toutes les qualités requises pour gagner, en la méritant, la faveur d’une dame. Avant de l’avoir vu, les jeunes Suisses ne vous étaient du moins pas odieux : vous dansiez avec eux, vous plaisantiez avec eux, vous étiez l’objet unique de leur admiration, et, comme vous le savez bien, vous auriez pu choisir dans tout le canton… Et même je crois qu’en cas d’urgence vous eussiez pu songer à prendre Rudolphe Donnerhugel pour mari. — Jamais, Annette, jamais ! s’écria Anne. — Ne jurez pas tant, madame. S’il avait su d’abord se faire agréer de l’oncle, je pense, dans ma pauvre opinion, qu’il aurait pu à quelque heureux moment obtenir la nièce mais depuis que nous avons connu ce jeune Anglais