Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certain que, quand René mourra, le roi de France réclamera le comté de Provence que possède maintenant le vieillard comme un fief mâle, et il n’est personne d’assez puissant pour soutenir les prétentions de Marguerite à cet héritage, si justes qu’elles puissent être. — Elles sont justes, elles sont incontestables. Je ne souffrirai pas qu’on vienne les contester ou les attaquer… c’est-à-dire lorsqu’elles seront une fois établies en ma faveur. Le vrai principe de la guerre faite pour le bien public, est de ne pas souffrir qu’aucun des grands fiefs retourne à la couronne de France, moins encore lorsqu’elle repose sur la tête d’un monarque aussi fourbe, aussi absolu que Louis. La Bourgogne réunie à la Provence !… un domaine s’étendant de l’Océan germanique à la Méditerranée !… Oxford, tu es mon ange tutélaire ! — Votre Altesse doit cependant réfléchir qu’il faudra assurer un revenu convenable au roi René. — Certainement, l’ami, certainement ! il aura un vingtaine de musiciens et de jongleurs pour lui jouer, lui racler, lui chanter du matin au soir. Il aura une cour de troubadours qui ne feront que boire, s’escrimer sur la flûte ou sur le violon, et rendre des arrêts d’amour, susceptibles d’être confirmés ou cassés par lui-même, à qui l’on en appellera, comme suprême roi d’amour. Et Marguerite sera aussi honorablement pensionnée, et de la manière que vous jugerez convenable. — Ce sera une affaire facile à conclure : si nos tentatives en Angleterre réussissent, elle n’aura plus besoin des subsides de la Bourgogne ; si elles échouent, elle se retire dans un cloître, et elle n’aura point à user long-temps des secours honorables que votre générosité ne manquera point de lui accorder. — Indubitablement, et ces bienfaits seront dignes de nous deux… mais par ma brave épée ! John de Vere, l’abbesse qui recevra Marguerite d’Anjou dans son couvent aura une pénitente passablement difficile à mener. Je la connais bien ; et seigneur comte, je ne prolongerai pas inutilement notre entretien en exprimant le doute que, si la chose lui plaît, elle ne puisse forcer son père à renoncer à telle partie de ses domaines qu’elle voudra. Elle est comme ma braque Gorgone qui force tout chien quelconque accouplé avec elle d’aller où bon lui semble, ou qui l’étrangle s’il résiste. C’est ainsi que Marguerite a agi à l’égard de son simple et naïf époux ; et je n’ignore pas que son père, fou d’une espèce différente, doit, de toute nécessité, être également traitable. Je crois que j’aurais pu l’épouser… quoique le cou me démange à la seule idée des efforts que nous aurions faits tous deux pour nous maîtriser l’un