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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/392

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moment. — Il faut, répondit Arthur, que j’aille à la cour sans délai. Attendez-moi dans une demi-heure dans la rue voisine, près de cette fontaine qui jette eu l’air une si magnifique colonne d’eau qu’on jurerait qu’elle est entourée d’une vapeur qui ressemble à de la fumée et sert comme d’abri au jet qu’elle enveloppe. — Ce jet d’eau est ainsi entouré, répliqua le Provençal, parce qu’il est alimenté par une source chaude qui s’élance des entrailles de la terre, et le contact de l’air par cette froide matinée d’automne rend la vapeur plus visible que de coutume… Mais si c’est au bon roi René que vous avez affaire, vous le trouverez à cette heure se promenant dans sa cheminée ; n’ayez point peur de l’approcher, car il n’y eut jamais de monarque d’un accès si facile, surtout pour les étrangers d’aussi bonne mine que vous, mon jeune maître. — Mais ses huissiers, dit Arthur, ne me laisseront pas pénétrer dans sa salle. — Sa salle ! répéta Thibaut… quelle salle ? — Parbleu, celle du roi René. S’il se promène dans une cheminée, ce ne peut être que dans celle de sa salle, encore faut-il qu’elle soit des plus vastes pour qu’on y puisse prendre un pareil exercice. — Vous ne me comprenez pas, » dit le guide en riant… « Ce que nous appelons la cheminée du roi René est cette terrasse étroite que vous voyez là ; elle s’étend entre ces deux tours, et est exposée au midi, et abritée dans toutes les autres directions. Le grand plaisir du roi est de s’y promener et d’y jouir des rayons du soleil par des matinées aussi fraîches que celle-ci. Cette promenade, dit-il, entretient sa veine poétique. Si vous approchez de lui, il vous parlera aisément, à moins toutefois qu’il ne soit occupé à composer des vers. »

Arthur ne put s’empêcher de rire en songeant à un roi qui, âgé de quatre-vingts ans, accablé d’infortunes et assiégé de périls, s’amusait encore à se promener sur une terrasse en plein air, et à faire de la poésie en présence de tels de ses heureux sujets qui voulaient le regarder.

« Si vous avancez de quelques pas de ce côté, ajouta Thibaut, vous pourrez voir le bon roi, et juger si vous devez ou non l’accoster à présent. Je vais loger nos hommes, et je reviendrai attendre vos ordres à la fontaine du Corso. »

Arthur ne trouva rien à objecter à la proposition de son guide ; et d’ailleurs il ne fut pas fâché d’avoir occasion de jeter un coup d’œil sur le bon roi René avant d’être introduit en sa présence.