Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/408

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nous. Dans la joie où j’étais de retrouver encore un sujet d’une fidélité aussi rare que celle de votre père, je lui ai parlé des sacrifices que je ferais pour assurer le secours de Charles de Bourgogne à la glorieuse entreprise qui lui a été proposée par le courageux Oxford ; mais depuis que je l’ai vu, j’ai eu lieu de faire de profondes réflexions. Je n’ai rencontré mon vieux père que pour l’offenser, et, je le dis à ma honte, pour l’insulter, le vieillard, en présence de son peuple. Nos caractères sont aussi opposés que les rayons du soleil, qui tout à l’heure dorait un paysage beau et serein, ressemblent peu aux tempêtes qui maintenant y portent le ravage. J’ai rejeté avec un mépris ou un dédain manifeste les moyens de consolation qu’il avait imaginés dans son affection mal entendue ; et, dégoûté des sottes folies qu’il avait inventées pour guérir la mélancolie d’une reine détrônée, d’une épouse veuve… et, hélas ! d’une mère qui a perdu son enfant, je me suis retirée ici, fuyant une joie bruyante et vide, qui était la plus amère aggravation de mes chagrins. Tel est le bon naturel de René, que cette conduite même si peu filiale ne diminuera en rien mon influence sur lui ; et si votre père m’eût annoncé que le duc de Bourgogne, comme chevalier et comme souverain, avait résolu de seconder noblement et de bonne foi le plan du fidèle Oxford, j’aurais pu me décider à obtenir la cession de territoire qu’exige sa froide et ambitieuse politique, pour nous garantir une assistance qu’il diffère maintenant de nous prêter jusqu’à ce qu’il ait satisfait son humeur hautaine en terminant d’inutiles querelles avec ses inoffensifs voisins. Depuis que je suis ici et que le calme et la solitude m’ont donné le temps de réfléchir, j’ai songé aux affronts dont j’avais accablé le vieillard et au tort que j’allais lui faire. Mon père, permettez-moi de lui rendre cette justice, est aussi le père de son peuple. Ce peuple a vécu sous ses vignes et ses figuiers, dans une aisance peu honorable peut-être, mais libre d’oppression et d’impôts, et son bonheur a fait celui de son bon roi. Dois-je tout changer ?… Dois-je contribuer à mettre cet heureux peuple sous l’empire d’un prince fier, entêté, capricieux ?… Ne pourrais-je pas briser même le cœur joyeux et irréfléchi de mon pauvre vieux père, si je réussissais à le faire consentir ?… Ce sont des questions que je frémis de me poser à moi-même. D’un autre côté, rendre nuls les travaux de votre père, tromper ses espérances hardies, perdre la seule occasion qui puisse jamais s’offrir de nous venger des traîtres sanguinaires d’York et de rétablir la maison de Lancastre !… Arthur, le pays qui nous en-