Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/67

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« Laissez-les donc reposer en paix ! S’ils ont fait du mal, ils l’ont bien payé en perdant la vie ; et c’est là toute la rançon qu’on puisse exiger d’un homme mortel en expiation de ses fautes… Le ciel pardonne à leurs âmes ! — Amen ! répliqua le landamraan, et à celles de tous les braves. Mon aïeul assista à cette bataille, et fut cité pour s’y être comporté en bon soldat. Cet arc a donc toujours été soigneusement conservé depuis dans notre famille. Il y a une prophétie à son sujet, mais je ne crois pas qu’elle vaille la peine d’être mentionnée. »

Philipson allait prier son hôte de s’expliquer, lorsqu’il fut interrompu par un grand cri de surprise et d’admiration qui partait du dehors.

« Il faut que je sorte, dit Biederman, pour voir quelle besogne me font ces écervelés. Il n’en est plus aujourd’hui comme autrefois dans ce pays, où les jeunes gens n’osaient pas émettre leur opinion avant que la voix des vieillards eût été entendue. »

Il sortit donc de la loge, suivi de son hôte. Toutes les personnes qui avaient été spectatrices des jeux parlaient, criaient, se disputaient toutes à la fois ; tandis qu’Arthur Philipson se tenait un peu à l’écart des autres, appuyé sur l’arc non bandé, avec une indifférence apparente. À la vue du landamman le silence se rétablit.

« Que signifient ces clameurs extraordinaires ? » demanda-t-il en élevant une voix que tous étaient accoutumés à entendre avec respect… « Rudiger, » continua-t-il en s’adressant au plus âgé de ses fils, « le jeune étranger a-t-il tendu l’arc ? — Oui, mon père répondit Rudiger ; et de plus il frappé le but. Trois coups pareils ne furent jamais tirés par Guillaume Tell. — C’est hasard… pur hasard, répliqua le jeune Suisse de Berne. Le plus habile tireur n’aurait pu en faire autant, moins encore un pauvre jouvenceau qui n’a réussi dans aucun des jeux auxquels il s’est essayé avec nous. — Mais que s’est-il passé ? s’écria le landamman… Voyons, ne parlez pas tous en même temps ! Anne de Geierstein, tu as plus de bon sens et d’usage que ces jeunes gens… dis-moi ce qui est arrivé.

La jeune fille parut un peu confuse à cette invitation ; mais elle répondit d’un ton calme et les yeux baissés :

« Le but était, comme de coutume, un pigeon attaché à une perche. Tous les jeunes gens, à l’exception de l’étranger, l’avaient visé en se servant d’arcs ordinaires, mais sans l’abattre. Quand j’apportai l’arc de Buttisholz, je le présentai d’abord à mes cousins, mais aucun d’eux ne voulut le prendre, disant, mon respectable