Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/79

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causer avec le père quand tes mains sont encore rougies du sang du fils. Le misérable se retira en m’entendant parler ainsi, mais ce fut encore avec son même air résolu d’impertinence qu’il prit congé de moi. « Adieu, dit-il, comte de la charrue et de la herse… Adieu, noble compagnon d’ignobles paysans ! » Il disparut et me délivra de la violente tentation que je combattais en moi, et qui me poussait à teindre de son sang le lieu qui avait été témoin de sa cruauté et de ses crimes. J’emmenai ma nièce dans ma maison, et je la convainquis bientôt que j’étais son sincère ami. Je l’habituai, comme si c’eût été ma fille, à tous nos exercices des montagnes, et outre qu’elle y surpasse toutes ses compagnes, je remarque en elle des preuves de bon sens, de courage, de délicatesse même qui n’appartiennent pas, je dois dire toute la vérité, aux simples filles de nos sauvages pays, mais dénotent une plus noble origine, une meilleure éducation. Néanmoins, ces qualités se mêlent si heureusement chez elle à la simplicité et à la courtoisie, qu’Anne Geierstein est, à juste titre, considérée comme l’orgueil du canton, et je doute peu que si elle fait choix d’un digne époux, l’État ne lui assigne un douaire considérable sur les propriétés de son père, puisque notre maxime est de ne pas punir l’enfant des fautes paternelles. — Le plus ardent de vos vœux doit être naturellement, mon cher hôte, d’assurer à votre nièce, dont pour ma part la reconnaissance m’ordonne de faire aussi l’éloge, un mariage convenable, tel que le demandent sa naissance et sa grande fortune, mais surtout son mérite. — C’est un sujet, seigneur marchand, qui a souvent occupé mon esprit. La trop proche parenté s’oppose à ce qui aurait été mon plus cher désir, à l’espérance de la voir mariée à un de mes fils. Ce jeune homme, Rudolphe Donnerhugel est brave et fort considéré parmi ses concitoyens ; mais plus ambitieux, plus jaloux de distinctions que je ne le désirerais dans le compagnon que ma nièce doit prendre pour la vie. Son caractère est violent, quoique son cœur, je l’espère, soit bon. Mais je vais sans doute être délivré malheureusement de tout souci à ce sujet, puisque mon frère, qui semblait avoir oublié Anne depuis sept ans et plus, demande, par une lettre récente que j’ai reçue de lui, que je lui rende sa fille… Vous savez lire, mon digne hôte, car votre profession l’exige. Tenez, voici le papier. Ce billet est froidement écrit, mais beaucoup moins malhonnête que n’était le message, indigne d’un frère, que m’avait apporté Ital Schreckenwald… Lisez tout haut, je vous prie.