Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/85

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avoir assuré l’agrafe, il était déjà loin sur la route qui conduisait au lieu où il devait s’en servir.

C’était encore la coutume de cette époque militaire, de regarder une provocation en duel comme un engagement sacré, qu’on devait remplir de préférence à tous les autres qu’on avait pu prendre ; et maîtrisant tout sentiment intérieur de répugnance que la nature pouvait opposer aux principes de la mode, un champion devait se rendre à l’endroit de la rencontre d’un pas aussi joyeux et aussi léger que s’il s’en allait à une noce. Je ne sais pus si cette ardeur était bien réelle de la part d’Arthur, mais s’il en était autrement, ni son air ni son pas ne trahissaient le secret.

Après avoir rapidement traversé les plaines et les bois qui séparaient la résidence du landamman des restes de l’ancien château de Geierstein, il entra dans la cour par le côté où le château regardait la ferme ; et presque au même instant son gigantesque antagoniste, qui paraissait encore plus grand et plus gros, vu au jour pâle du matin, qu’il ne l’avait paru le soir précédent, fut aperçu montant le long escalier après avoir traversé le pont précaire du torrent, et se rendant à Geierstein par une route différente de celle qu’avait suivie l’Anglais.

Le jeune champion de Berne portait sur son dos une de ces lourdes épées dont la lame avait cinq pieds de long, et qu’on ne maniait qu’à deux mains. Presque tous les Suisses s’en servaient alors ; car, outre l’impression de terreur que de pareilles épées devaient produire sur les bataillons des hommes d’armes allemands dont l’armure était impénétrable à des épées plus légères, elles étaient aussi extrêmement propres à défendre les défilés de montagnes, où la grande force de corps et l’agilité rare de ceux qui les portaient mettaient les combattants, en dépit du poids et de la longueur des lames, en état de s’en servir avec autant d’adresse que de succès. Une de ces épées gigantesques était donc suspendue au cou de Rudolphe Donnerhugel, la pointe lui traînant sur les talons, et la poignée dépassant son épaule, et même de beaucoup sa tête. Il en portait une autre à la main.

« Tu es exact, » cria-t-il à Arthur Philipson d’une voix qui se fit entendre distinctement malgré le bruit de la chute d’eau avec lequel cette voix semblait rivaliser de force ; « mais je pensais bien que tu viendrais au rendez-vous sans épée à deux mains. Voici donc celle de mon cousin Ernest, » dit-il en jetant à terre l’arme qu’il portait, la garde tournée vers le jeune Anglais ; tâche du moins,