Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’il devait aux autres, et celle du musulman de la haute idée de ce qu’il se devait à lui-même.

Les provisions dont chacun s’était muni pour la route étaient fort simples… Mais le repas du Sarrasin fut encore le plus frugal. Une poignée de dattes, un morceau de pain d’orge grossier, suffirent pour apaiser la faim de l’émir. Son éducation l’avait habitué aux privations du désert, quoique depuis la conquête de la Syrie par les musulmans la simplicité de la vie arabe fût souvent remplacée chez eux par la profusion et le luxe le plus effréné. Pour terminer son repas, il but à plusieurs reprises de l’eau de cette belle fontaine auprès de laquelle les deux voyageurs se reposaient. Celui du chrétien, quoique grossier, fut plus substantiel. Il se composait d’un morceau de chair de porc salé, mets en abomination au musulman, et son breuvage lui fut fourni par une gourde qu’il portait avec lui, et qui contenait quelque chose de mieux que le limpide élément. Il montra plus d’appétit en mangeant, et plus de satisfaction à se désaltérer que le Sarrasin ne jugeait convenable d’en témoigner en remplissant une fonction purement animale, et sans doute le mépris secret qu’ils nourrissaient l’un pour l’autre en voyant chacun dans son compagnon le sectateur d’une fausse religion, s’augmenta considérablement par la différence marquée qui se montrait dans leurs usages et dans leur manière de vivre ; mais ils avaient mutuellement éprouvé la pesanteur de leurs bras, et le respect que leur avait réciproquement inspiré leur combat était suffisant pour l’emporter sur bien d’autres considérations… Cependant le Sarrasin ne put s’empêcher de faire connaître ce qui lui avait déplu dans la conduite et les manières du chrétien ; et après qu’il eut observé quelques moments en silence le vigoureux appétit grâce auquel le chevalier prolongeait son repas long-temps après qu’il avait lui-même fini le sien, il lui parla ainsi :

« Vaillant Nazaréen, convient-il à celui qui se bat en homme de manger aussi avidement qu’un chien ou un loup ? Le juif mécréant lui-même frémirait des aliments que vous dévorez comme si c’étaient des fruits du paradis.

— Vaillant Sarrasin, » répondit le chrétien en le regardant un peu surpris de ce reproche inattendu… « Sache que j’exerce mon privilège de chrétien en faisant usage de ce qui est défendu aux juifs dans la croyance qu’ils ont d’être encore soumis à l’ancienne loi de Moïse… Quant à nous, apprends, Sarrasin, que nous avons un guide plus sûr pour nos actions. Ave Maria ! Grâces en soient au ciel ! »