Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/35

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un vaisseau dans un détroit rempli d’écueils ; mais ils n’eurent pas fait une demi-lieue qu’il se montra sûr de sa route, et sembla disposé à entrer en conversation avec plus de franchise qu’on n’en trouvait généralement dans les manières de sa nation.

« Vous m’avez demandé, dit-il, le nom d’une muette fontaine qui a l’apparence, mais non la réalité de la vie. Pardonnez-moi si je vous demande à mon tour celui du compagnon avec lequel je me suis mesuré et près duquel je me suis reposé : c’est un nom que je ne puis croire inconnu, même dans les déserts de la Palestine.

— Il ne mérite pas encore d’être cité, dit le chrétien. Sachez pourtant que, parmi les soldats de la croix, on m’appelle Kenneth, le chevalier du Léopard. Dans ma patrie, je reçois d’autres titres, mais qui sonneraient désagréablement à une oreille orientale. Permettez-moi de vous demander également, brave Sarrasin, quelle est celle des tribus de l’Arabie qui vous a vu naître, et sous quel nom vous êtes connu.

— Sir Kenneth, répondit le musulman, je me réjouis que vous ayez un nom que je puisse prononcer aisément. Quant à moi, je ne suis pas Arabe, quoique je tire mon origine d’une race non moins sauvage, non moins guerrière. Sachez, sire chevalier du Léopard, que je suis Sheerkohf, le Lion de la Montagne, et que le Kurdistan, dont je suis sorti, n’a pas de famille plus noble que celle de Seljood.

— J’ai entendu dire, reprit le chrétien, que votre Soudan a puisé son sang dans la même source.

— Grâces en soient rendues au Prophète qui a daigné honorer nos montagnes au point de faire sortir de leur sein celui dont la parole est une victoire. Je ne suis qu’un ver devant le roi d’Égypte et de Syrie, et néanmoins dans mon pays mon nom n’est pas sans influence. Étranger, combien d’hommes as-tu amenés dans cette expédition guerrière ?

— Par ma foi, dit sir Kenneth, avec l’aide de mes amis et de mes parents, j’ai eu bien de la peine à fournir dix lances convenablement équipées, ce qui peut former cinquante et quelques hommes, archers et varlets compris. Quelques uns ont abandonné ma bannière malencontreuse, d’autres sont tombés sur le champ de bataille, d’autres encore sont morts de maladie, et un fidèle écuyer, pour les jours duquel j’ai entrepris ce pèlerinage, est maintenant retenu au lit par une dangereuse maladie.

— Chrétien, dit Sheerkohf, j’ai ici cinq flèches dans mon car-