Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/38

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né en Écosse). Il en est ainsi, et quoique les habitants des deux extrémités de cette île soient engagés dans des guerres fréquentes, cela ne les empêche pas de fournir encore, comme tu le vois, un corps de guerriers suffisant pour ébranler la puissance impie que ton maître a usurpée sur les villes de Sion.

— Par la barbe de Saladin ! Nazaréen, si ce n’était un acte puéril et digne d’un enfant, je serais tenté de rire de la simplicité de votre grand sultan qui vient ici faire des conquêtes de déserts et de rochers, et en disputer la possession à des princes qui peuvent disposer d’un nombre dix fois plus grand de soldats, tandis qu’il laisse une partie de la petite île où il naquit souverain, soumise à un autre sceptre que le sien. Assurément, sir Kenneth, vous et les autres vaillants hommes de votre pays, vous auriez dû vous déclarer sujets de ce roi Richard avant de quitter votre terre natale, divisée comme elle l’est intérieurement, pour suivre cette lointaine expédition. »

La réponse de sir Kenneth fut impétueuse et fière. « Non, de par la brillante clarté des cieux ! si le roi d’Angleterre ne fût parti pour la croisade que lorsqu’il aurait été souverain de l’Écosse, moi et tout loyal Écossais nous aurions permis au croissant de briller pour jamais sur les murs de Sion. »

Il en était là, lorsque, revenant tout-à-coup à lui-même, il murmura : « Meâ culpâ ! meâ culpâ ! moi, soldat de la croix, qu’ai-je à faire avec le souvenir de guerres entre les nations chrétiennes ? » Cette impétuosité de sentiments, réprimée par la voix du devoir, ne put échapper au musulman, qui, sans comprendre tous les sentiments de son compagnon de route, en vit assez pour rester convaincu que les chrétiens, comme les enfants du Prophète, avaient leurs ressentiments particuliers et leurs querelles nationales qui n’étaient pas toujours faciles à assoupir. Mais les Sarrasins appartenaient à une race arrivée peut-être au plus haut degré de civilisation que leur religion leur permît, et susceptible, en conséquence, des notions les plus raffinées en fait de courtoisie et de politesse ; ce furent ces sentiments qui ne permirent pas au guerrier de l’Orient de relever tout ce qu’il semblait y avoir de contradictoire dans les opinions de sir Kenneth, comme Écossais et comme croisé.

Cependant, à mesure qu’ils avançaient, les lieux changeaient insensiblement d’aspect. Ils commençaient à tourner vers l’est, et avaient atteint la chaîne de montagnes nues et escarpées, qui, bordant de ce côté la plaine aride, apportent de la variété dans la