Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/124

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qu’on joua sur la viole fut gai et vif d’abord, avec une teinte de cette légèreté propre à la musique des troubadours. Mais, en avançant, les sons de l’instrument et la voix féminine qui l’accompagnait, devinrent plaintifs et brisés, comme pour exprimer les pénibles sentiments de la chanteuse.

Quels que pussent être son jugement et son goût en pareille matière, le comte offensé donna, on peut le croire, peu d’attention à la musique de la chanteuse. Son cœur fier luttait entre la soumission qu’il devait à son souverain et l’affection qu’il ressentait encore pour la personne de son excellent roi, et un désir de vengeance, provenant de son ambition désappointée et de la substitution de Marjory Douglas à sa propre fille lorsqu’il s’était agi de l’hymen du duc de Rothsay. March avait les vertus et les défauts d’un caractère téméraire et irrésolu ; et alors qu’il venait dire adieu au roi avec l’intention de lui refuser son allégeance dès qu’il aurait un pied sur ses domaines féodaux, il se sentait de la répugnance à faire un pas si criminel et si rempli de péril, il s’en trouvait même incapable. C’était à ces dangereuses réflexions qu’il s’abandonnait au commencement du lai de la chanteuse ; mais des objets qui attirèrent puissamment son attention pendant que la musicienne préludait, détournèrent le cours de ses pensées, et les dirigèrent sur ce qui se passait dans la cour du monastère. La chanson était en dialecte provençal, bien compris, comme langage des poètes, dans toutes les cours d’Europe, et surtout à celle d’Écosse. Il était plus simplement tourné cependant que la plupart des sirvantes, et ressemblait plutôt au lai d’un ménestrel normand. On peut le traduire ainsi :

LE LAI DE LA PAUVRE LOUISE

Pauvre Louise ! elle erre tout le jour,
De la chaumière à la superbe tour ;
Sa viole agreste, à ses désirs soumise,
Redit d’accord avec sa douce voix :
Jeunes beautés, loin du sentier des bois
Fuyez, fuyez, en pensant à Louise.

Pauvre Louise ! un soleil radieux
Brûlait sa joue, éblouissait ses yeux.
L’étroit chemin embaumé de cytise,
Et les concerts des folâtres oiseaux,
Qui se mêlaient au doux bruit des ruisseaux.
Tout se liguait pour captiver Louise.

Pauvre Louise ! en ce bocage frais
L’ours des déserts ne s’établit jamais ;