Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/144

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chose de pis. Je vous le déclare net, la belle, vous ne m’enjôlerez pas. Je suis prêt à vous conduire en lieu de sûreté ; indiquez-moi seulement le lieu, car ma promesse est aussi solide qu’une boucle de fer. Mais vous ne me ferez pas croire que vous ignorez quelle route prendre. Vous n’êtes pas si neuve au métier que de ne point savoir qu’il y a des hôtelleries dans chaque ville, et plus encore dans une cité comme Perth, où des voyageuses telles que vous peuvent loger pour leur argent, quand elles n’ont point trouvé quelque dupe pour payer leur dépense. Si vous avez de l’argent, jeune fille, j’aurai encore moins besoin de m’occuper de vous, et vraiment je ne vois qu’un prétexte dans toute cette excessive affliction et dans cette crainte de rester seule, quand on fait votre métier. »

Après avoir démontré ainsi qu’il ne se laisserait point séduire par les artifices ordinaires d’une chanteuse, Henri s’avança brusquement de quelques pas, s’efforçant de penser qu’il faisait la chose la plus prudente et la plus sage du monde. Pourtant il ne put s’empêcher de regarder en arrière pour voir comment Louise prenait son départ, et fut interdit en observant qu’elle était tombée sur un banc, ses bras appuyés sur ses genoux, et sa tête sur ses bras, dans une attitude qui annonçait le plus profond désespoir.

Le forgeron tâcha d’endurcir son cœur.

« Ce n’est que feinte, dit-il ; la fille sait son métier… je le jurerais par saint Ringan. »

Au même instant quelque chose tira le coin de son manteau ; et regardant autour de lui, il aperçut le petit épagneul qui aussitôt, comme pour plaider la cause de sa maîtresse, se leva sur ses pattes de derrière, et se mit à danser tout en pleurant et en regardant Louise, comme pour implorer sa compassion en faveur de la chanteuse délaissée.

« Pauvre bête ! dit le forgeron, c’est encore une ruse peut-être, car tu ne fais que ce qu’on t’a appris… Pourtant, puisque j’ai promis de protéger cette pauvre créature, je ne dois pas l’abandonner évanouie, si elle l’est vraiment, ne fût-ce que par amour de l’humanité. »

Il revint donc, et s’approchant de son embarrassante compagne, il s’aperçut, à l’altération de ses traits, qu’elle était plongée dans la plus violente douleur, ou qu’elle avait un talent pour dissimuler au-dessus de l’intelligence d’un homme… même d’une femme.

« Jeune fille, » dit-il avec plus de bonté qu’il n’en avait montré