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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/198

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un insecte doit remercier le géant qui ne l’écrase pas. Néanmoins, noble chevalier, les insectes ont leur pouvoir de nuire aussi bien que les médecins. Que m’en eût-il coûté, sinon un instant de peine, pour manipuler ce baume de telle sorte, qu’il eût fait gangrener votre bras jusqu’à l’épaule, et lait cailler le sang pur qui coule dans nos veines, après l’avoir changé en virus ? Pourquoi n’aurais-je pu employer des moyens encore plus subtils, et arroser votre appartement d’essences, au milieu desquelles la lumière de la vie scintille de plus en plus faible, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne comme une torche à travers les vapeurs fétides d’un cachot souterrain ? Vous connaissez bien mal mon pouvoir, si vous ignorez que ces modes de destruction, et de plus actifs encore, sont aux ordres de mon art. Mais un médecin ne tue pas le patient à la générosité duquel il doit la vie ; et un homme qui ne respire que dans l’espoir de la vengeance, détruira moins encore l’allié dévoué qui doit l’aider à l’obtenir.. Encore un mot… Si vous avez besoin de vous lever… car, qui, en Écosse, peut se promettre huit heures de repos paisible ?… en bien ! respirez l’essence forte renfermée dans cette petite boîte… Maintenant, adieu, sire chevalier ; et si vous ne pouvez voir en moi un homme à conscience nette, avouez du moins que je ne manque ni de raison ni de jugement. »

À ces mots le médecin sortit ; sa démarche ordinairement humble et gauche prenait quelque chose de plus hardi et de plus noble, comme s’il eût été enorgueilli de la victoire qu’il avait remportée sur son impétueux malade.

Sir John Ramorny resta plongé dans de poignantes réflexions, jusqu’à ce qu’il commençât à ressentir les premiers effets du breuvage soporifique ; il s’éveilla alors pour un instant, et appela son page.

« Éviot, holà ! ho, Éviot !… j’ai mal fait d’accorder tant de confiance à cet empoisonneur… Éviot ? »

Le page entra.

« Le médecin est-il parti ? — Oui, s’il plaît à Votre Seigneurie. — Seul ou accompagné ? — Bonthron a causé bas avec lui et l’a suivi presque immédiatement… par ordre de Votre Seigneurie, je pense. — Ventrebleu, oui !… Il va chercher quelque drogue… Il reviendra tout à l’heure. S’il est ivre, veille à ce qu’il n’approche pas de mon appartement, et ne le laisse entamer de conversation avec personne. Il extravague quand le vin lui porte au