Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/280

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doués de qualités différentes, ils étaient aussi bien accouplés pour concevoir et exécuter des projets criminels, que le chien courant qui attrape le gibier, à l’aide du chien quêteur qui le fait lever, ou le chien quêteur qui dépiste le gibier à l’aide du lévrier aux regards perçants, qui le découvre à l’aide des yeux. L’orgueil et l’égoïsme étaient le fond de leurs caractères ; mais par suite de la différence de rang, d’éducation et d’esprit, ces vices avaient revêtu chez eux des formes différentes.

Rien ne ressemblait moins à l’ambition audacieuse du courtisan favori, du galant toujours heureux auprès des dames, du guerrier intrépide, que l’humilité rampante de l’apothicaire, qui semblait rechercher les affronts et y prendre plaisir. Cependant, dans le secret de son âme, celui-ci se sentait possesseur de connaissances peu ordinaires, d’un pouvoir né de sa science et de son intelligence qui le mettait bien au-dessus des gentilshommes ordinaires de cette époque : Henri Dwining était si convaincu de cela que, comme les gardiens des bêtes sauvages, il osait quelquefois, pour son amusement, exciter les passions furieuses d’hommes tels que Ramorny, s’en reposant sur l’humilité de ses manières pour éviter l’orage qu’il soulevait : c’est ainsi qu’un jeune Indien lance son léger canot, dont la fragilité même fait la sûreté, sur des brisans où un vaisseau plus solide serait mis en pièces. Que le baron féodal méprisât le modeste apothicaire, rien de plus naturel ; mais Ramorny n’en sentait pas moins l’influence que Dwining exerçait sur lui, et dans la lutte de leurs esprits, le chevalier était presque toujours dompté, comme les plus fougueux mouvements d’un fier coursier sont dominés par un enfant de douze ans s’il a été formé à l’art du manège. Mais le mépris de Dwining pour Ramorny était plus réel. Il regardait le chevalier, comparé à lui-même, comme s’élevant à peine au-dessus de la brute, capable de détruire, comme le taureau peut détruire avec ses cornes, ou le loup avec ses griffes, mais dominé par de honteux préjugés, esclave des momeries sacerdotales : mot sous lequel Dwining comprenait toute espèce de religion. Au total, il considérait Ramorny comme un homme que la nature lui avait assigné pour esclave, et comme un instrument propre à extraire de la mine cet or qu’Henbane adorait : car l’amour effréné des richesses était une des faiblesses du médecin, mais non pas le plus grand de ses vices ; il justifiait à ses yeux cette passion sordide en se persuadant qu’elle avait sa source dans l’amour du pouvoir.