Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/38

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ciel, dit-elle d’un ton solennel, ne fut jamais confiée à une langue, quelque faible qu’elle fût, sans lui donner le droit de parler de clémence, en même temps qu’elle proclame le jugement… Lève-toi, Henri… Relève ta tête, homme noble, bon et généreux, quoique étrangement égaré… Tes défauts appartiennent à ce siècle cruel et barbare… tes qualités sont à toi seul. »

Tout en parlant ainsi, elle posa la main sur le bras du forgeron ; et le retirant de dessous sa tête avec une douce violence à laquelle il ne put résister, elle le força de tourner vers elle son mâle visage et ses yeux dans lesquels les reproches de la jeune fille et d’autres causes encore avaient appelé des larmes. « Ne pleure pas, reprit-elle, ou plutôt pleure… Mais pleure comme ceux qui ont de l’espérance, abjure les péchés de l’orgueil et de la colère qui triomphent de toi le plus facilement…. Rejette loin de toi ces armes maudites dont tu es aisément tenté de faire un usage meurtrier. — Vous me prêchez en vain, repartit l’armurier ; je puis me faire moine et me retirer du monde ; mais tant que j’y demeurerai, il faut que j’exerce mon état ; et tant que je fabriquerai des armures et des épées pour les autres, je ne pourrai résister moi-même à la tentation de m’en servir. Vous ne m’en feriez pas un reproche si vous saviez combien les moyens par lesquels je gagne mon pain sont inséparables de cet esprit guerrier que vous m’imputez à crime, quoiqu’il soit la conséquence d’une inévitable nécessité. Quand je donne au bouclier ou au corselet la force de parer les blessures, ne dois-je pas constamment me rappeler à quoi servent leur forme et leur solidité ; et lorsque je forge des épées, ou les trempe pour la guerre, m’est-il possible de ne pas songer à leur usage ? — Abandonnez donc, mon cher Henri, » répliqua la jeune fille enthousiaste, serrant avec ses deux faibles mains la main nerveuse et pesante du robuste armurier, qu’elle soulevait avec peine, car le forgeron se laissait faire, mais n’y aidait pas ; « abandonnez, vous dis-je, un métier qui est un piège pour vous. Abjurez la fabrication d’armes qui ne peuvent être utiles qu’à abréger la vie humaine, déjà trop courte pour faire pénitence, ou à encourager, par la conscience de leur sûreté, ceux que la crainte aurait pu empêcher de courir au péril. L’art de fabriquer des armes, offensives ou défensives, est condamnable chez un homme dont le naturel violent et fougueux tombe à propos de ce travail dans le piège et le péché. Renoncez définitivement à forger des armes de quelque genre qu’elles