Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/204

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près ; mais il était impossible au comte, dans l’obscurité totale où il était plongé, de juger à quelle distance il pouvait être du danger qui le menaçait. Robert entendait la respiration du monstre, et croyait même sentir la chaleur de cette haleine ; son oreille effrayée distinguait, tout au plus à deux verges de ses membres sans défense, l’horrible grincement de dents qui s’aiguisaient les unes contre les autres, tandis que des griffes brisaient et arrachaient avec une sorte de rage des fragmens du bois de chêne qui formait le plancher. Le comte de Paris était un des hommes les plus braves de son temps, de ce temps où la bravoure était une vertu générale chez les moindres gentilshommes, et le chevalier était un descendant de Charlemagne. Il était homme cependant, et comme tel, il ne put envisager un danger aussi imprévu et aussi extraordinaire, sans une vive émotion. Ce n’était pas une alarme soudaine et irraisonnée, c’était le sentiment calme d’un extrême danger modifié par la résolution d’user de toutes ses ressources pour sauver sa vie, s’il était possible. Il se retira dans son lit, qui n’était plus un lieu de repos, étant ainsi plus éloigné de quelques pieds des deux prunelles étincelantes, qui demeuraient si invariablement fixées sur lui, que, en dépit de son courage, la nature peignait dans son imagination l’horrible tableau de ses membres déchirés, broyés et réduits en bouillie de chair et de sang dans la gueule de ce monstrueux animal. Un seul espoir de salut s’offrait à sa pensée… ce pouvait être un essai, une expérience tentée par le philosophe Agelastès ou par l’empereur son maître, dans le dessein d’éprouver le courage dont les Francs faisaient si grand bruit, et de punir l’insulte irréfléchie que le comte avait faite imprudemment à l’empereur le jour précédent.

« On a bien raison de dire, » pensait-il dans son agonie, « qu’il ne faut pas toucher la barbe du lion dans sa tanière ! Peut-être en ce moment même quelque vil esclave délibère pour décider si j’ai assez goûté de souffrance préliminaire de la mort, et s’il est temps de lâcher la chaîne qui empêche cet animal sauvage de mettre son œuvre à fin. Mais vienne la mort quand il lui plaira ! il ne sera jamais dit qu’on aura entendu le comte Robert la recevoir en implorant la compassion, ou avec des cris de douleur et de terreur. »@ Il tourna la face vers la muraille, et attendit paisiblement, en faisant un violent effort mental, la mort qu’il s’imaginait approcher rapidement.

Ses premiers sentiments s’étaient nécessairement portés sur lui-