Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/43

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turion, bien qu’il lui eût été difficile de dire pourquoi ce rire lui déplaisait autant.

« Si je ne prends garde à moi, pensa Harpax, nous finirons par avoir deux centurions au lieu d’un. Ce drôle, qu’il soit Mitylénien ou qu’il soit le diable, me domine de toute la tête : veillons de près. » Puis reprenant un ton d’autorité : « Voyons donc, jeune homme ; il est dur, je le sais, de décourager un débutant ; mais si vous avez vécu sur mer et dans les bois, comme vous le dites, vous devez savoir jouer le rôle de sicaire. Cet homme est ivre ou endormi, nous ne savons lequel ; mais que ce soit un cas ou que ce soit l’autre, ayez soin de lui. — Mais quel prix me donnerez-vous pour poignarder un homme dans cet état, noble centurion ? demanda le Grec ; peut-être, » ajouta-t-il d’un ton tant soit peu ironique, « ne seriez-vous pas fâché de vous charger vous-même de cette affaire ? — Faites ce qu’on vous ordonne, l’ami, » dit Harpax en montrant du doigt l’escalier de la tourelle qui conduisait des murailles à l’endroit où reposait l’étranger.

« Il marche aussi furtivement que le chat, » murmura le centurion, tandis que la sentinelle descendait pour commettre un crime qu’il eût été de son devoir d’empêcher. « Il faut couper la crête de ce jeune coq, où il deviendra le roi du perchoir ; mais voyons s’il a la main aussi résolue que la langue : ensuite nous réfléchirons sur la tournure à donner à cette affaire. »

Tandis qu’Harpax se parlait ainsi à lui-même, le Mitylénien sortit de dessous la porte, marchant fort vite, mais sur la pointe du pied et sans faire le moindre bruit. Le poignard, qu’il avait tiré de sa ceinture, brillait dans sa main, qu’il tenait un peu en arrière du corps comme pour cacher l’arme fatale. L’assassin se pencha sur le dormeur pour avoir une idée très exacte de l’intervalle qui existait entre la cuirasse d’argent et le corps qu’elle protégeait imparfaitement. Cet examen ne dura que quelques secondes. — le bras retombait pour frapper, lorsque le Varangien, d’un mouvement subit, détourna le poignard avec le manche de sa hache, et en même temps qu’il parait le coup qui lui était destiné, il en porta au Grec un si pesant et si terrible que Sebastes crut n’avoir jamais appris au Pancration à en asséner un semblable ; à peine eut-il la force d’appeler au secours ses camarades qui étaient sur les murailles. Ceux-ci, cependant, n’avaient rien perdu de ce qui s’était passé. Ils virent le barbare appuyer le pied sur leur camarade renversé, et brandir en l’air sa hache formidable dont le sifflement sinistre retentit sous