Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/13

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personne, je voudrais qu’il en eût toujours été ainsi. À quoi bon les montagnes de bœuf et les océans de bière que produisent, dit-on, nos domaines, s’il se trouve, parmi nos vassaux, un seul être qui souffre de la faim ; et surtout si c’est toi, Bertram, toi qui as servi pendant plus de trente ans comme ménestrel dans notre maison. — Assurément, madame, répondit Bertram, ce serait une catastrophe semblable à celle qu’on raconte du baron de Fastenough, lorsque sa dernière souris mourut de faim dans la paneterie même ; et si j’échappe à ce voyage sans une telle calamité, je me croirai pour le reste de ma vie à l’abri de la soif et de la famine. — Tu as déjà souffert une ou deux fois de pareils dangers, mon pauvre ami. — Ce que j’ai pu souffrir n’est rien ; et je serais un ingrat si je donnais un nom sérieux à l’inconvénient de manquer un déjeuner ou d’arriver trop tard pour dîner. Mais je ne comprends pas en vérité que Votre Seigneurie puisse endurer si longtemps un accoutrement si lourd. Vous devez sentir aussi que ce n’est pas une plaisanterie que de voyager dans ces montagnes, où les milles écossais ont si bonne mesure. Quant au château de Douglas, ma foi, il est encore éloigné de cinq milles environ, pour ne rien dire de ce qu’on appelle en Écosse un bittock, ce qui équivaut bien à un mille de plus. — Il s’agit alors de savoir, » dit la jeune personne en poussant un soupir, « ce que nous ferons quand, après être venus de si loin, nous trouverons fermées les portes du château, car elles le seront certes avant notre arrivée. — J’en donnerais ma parole, répondit Bertram. Les portes de Douglas, confiées à la garde de sir John de Wallon, ne s’ouvrent pas si aisément que celles de la dépense de notre château. Si Votre Seigneurie veut suivre mon conseil, nous retournerons vers le sud, et en deux jours au plus tard nous serons dans un pays où l’on peut satisfaire les besoins de son estomac dans le plus bref délai possible, comme le proclament toutes les enseignes des auberges. Or, le secret de ce petit voyage ne sera connu de personne en ce monde, aussi vrai que je suis un ménestrel juré et un homme d’honneur. — Je te remercie du conseil, mon honnête Bertram, mais je ne puis en profiter. Si ta connaissance de ce triste pays pouvait l’indiquer quelque maison décente, qu’elle appartînt à des gens riches ou pauvres, je m’y établirais volontiers jusqu’à demain matin. Les portes du château de Douglas seront alors ouvertes pour des étrangers d’une apparence aussi pacifique que la nôtre, et… et… je l’espère, nous trouverons bien le temps de faire à notre toilette les changements propres à