Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/234

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diable de chasse les avait mis, elle et lui, dans de mauvaises affaires. Les lairds en avaient crié, comme si elle avait fait de sa maison le rendez-vous des chasseurs et des braconniers de bas étage. Et cependant pouvait-elle empêcher deux jeunes égrillards d’aller prendre leurs ébats ? Ils avaient d’ailleurs la permission de chasser sur les terres du voisin ; leur droit s’étendait jusqu’aux limites de la propriété ; mais pouvaient-ils y regarder de bien près au moment où des coqs de bruyère se levaient devant eux ?

Au bout d’un jour ou deux, l’étranger se fit des habitudes si paisibles et si solitaires, que Meg elle-même, la plus remuante et la plus turbulente des créatures humaines, commençait à se trouver vexée de ne point avoir tout l’embarras sur lequel elle avait compté. L’indifférence extrême et toute passive que son hôte affichait sur tous les points lui causait sans doute ce même sentiment d’impatience qu’éprouve un bon cavalier quand sa monture trop docile se fait à peine sentir sous lui. Les promenades de Tyrrel étaient consacrées à visiter les retraites les plus solitaires parmi les bois et les montagnes du voisinage. Il laissait souvent sa ligne à la maison, ou ne la prenait avec lui que comme un prétexte pour errer à pas lents sur les bords de quelque petit ruisseau… et ses succès à la pêche étaient si peu de chose, que, si l’on en croyait Meg Dods, le joueur de cornemuse de Peebles[1] aurait pris un panier de poissons avant que M. Francis en eût pêché une demi-douzaine : de sorte qu’il fut obligé, pour avoir la paix, de rétablir sa réputation en prenant un superbe saumon.

Les peintures de Tyrrel, comme disait Meg, n’allaient pas mieux que sa pêche. Souvent, à la vérité, il lui montrait les esquisses qu’il rapportait de ses promenades, et qu’il avait coutume de terminer à la maison ; mais Meg en faisait peu de cas. « Que signifiaient, disait-elle, des chiffons de papier avec des marques noires et blanches, qu’il appelait des buissons, des arbres et des rochers ?… Ne pouvait-il pas les peindre en bleu, en vert et en jaune comme les autres gens ? Vous ne gagnerez jamais votre pain de cette manière, monsieur Francis. Vous devriez avoir une grande toile comme Dick Tinto, et peindre les gens eux-mêmes, ce qu’ils aiment beaucoup mieux à voir que tous les rochers de la rivière. Et je ne vois même pas pourquoi quelques uns de ces buveurs d’eau ne monteraient pas ici pour poser ; ils passent plus mal leur temps, j’en réponds… et je suis sûre que vous pourriez gagner une guinée par tête avec eux.

  1. Ville d’Écosse. a. m.