Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/295

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à côté du whisky, ouvrant les rideaux, abaissant le marchepied et aidant sa vieille connaissance à descendre.

Le clerc conduisit sa chère cliente dans le fameux salon ; et quand ils furent assis, M. Bindloose se creusa l’esprit pour deviner le motif qui pouvait amener mistress Dods de si bonne heure chez lui. « Je ne vous ai jamais vu meilleure mine depuis dix ans ; peut-être néanmoins songez-vous à mettre vos affaires en règle, dit-il. Quelqu’un de vos débiteurs a-t-il fait faillite, ou est-il sur le point de la faire ? — Vous conjecturez mal, monsieur Bindloose ; j’ai bien fait une perte, mais une perte d’ami… — Vita incerta, mors certissima ! » répondit le clerc, mais il ne paraissait pas deviner où la cliente voulait en venir.

« Parlons en bon écossais, dit l’aubergiste ; il faut que je vous apprenne moi-même le motif de ma visite. Vous n’avez peut-être pas oublié, monsieur Bindloose, deux jeunes Anglais qui logèrent il y a six ou sept ans chez moi, et qui eurent une querelle avec le vieux laird de Saint-Ronan pour avoir chassé dans les marais de Spring-Well-Head ? Vous savez aussi qu’ils quittèrent tous deux le pays, après que vous eûtes empêché qu’on ne rendît une sentence contre eux. Eh bien ! le plus âgé et le plus raisonnable des deux est revenu à Saint-Ronan, il y a environ quinze jours et a logé chez moi. Je dois vous l’avouer, monsieur Bindloose, je me suis laissé prendre d’une affection toute particulière pour lui, pour Francis Tyrrel, comme il se nomme ; mais je n’aurais jamais pu prévoir ce qui est arrivé à ce pauvre jeune homme par la malice des méchants : il a demeuré chez moi, comme je vous le disais, une quinzaine environ, aussi paisible qu’un agneau, buvant et mangeant bien, payant son mémoire chaque samedi… Hier il a disparu, assassiné ou enlevé par les bandits qui habitent ce marais infect qu’ils appellent les Eaux. J’ai cependant la consolation de pouvoir vous le dire, quoiqu’il lui soit arrivé, ce n’est point ma faute ; mais il a voulu à toute force voir ce vieux coupe-jarret de Mac Turc, et il est convenu avec lui de se trouver avec quelqu’un de sa bande le même jour à une heure dite et dans un certain lieu. Il sortit pour tenir sa parole, mais depuis on ne l’a point revu. Or, ma ferme croyance, monsieur Bindloose, est qu’on lui a dressé des embûches entre mon auberge et Buckstane, où était le rendez-vous. »

M. Bindloose objecta qu’on ne pouvait savoir si un rendez-vous pour un duel avait été réellement convenu entre M. Tyrrel et le capitaine Mac Turc, puisque, d’après elle-même, leur conversation