Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/303

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mettre aux divers caprices et aux exigences dont son nouvel hôte se rendait coupable. Jamais personne ne parlait autant que monsieur Touchwood de son indifférence habituelle pour la nourriture et les autres aises de la vie, et probablement jamais voyageur n’avait donné plus de mal dans une hôtellerie. Il avait des fantaisies toutes particulières en cuisine, et quand on les contredisait, surtout s’il commençait à ressentir les douleurs d’un accès de goutte, on aurait cru qu’il avait pris des leçons dans la boutique du pâtissier Bedreddin Hassan, et qu’il allait renouveler la scène de la malheureuse tarte à la crème où l’on avait oublié de mettre du poivre. À chaque instant il émettait de nouvelles doctrines en science culinaire ; mistress Dods n’y voyait que des hérésies, et alors la maison retentissait de leurs querelles. Puis son lit devait être nécessairement dressé selon un certain angle d’inclinaison depuis le haut de l’oreiller jusqu’au bout des pieds, et la moindre déviation de cette règle troublait, disait-il, son repos nocturne, et certainement dérangeait son humeur. Il était également capricieux sur la façon de brosser ses habits, d’arranger les meubles de sa chambre, et sur mille autres minuties que dans la conversation il semblait totalement mépriser.

Il peut paraître singulier, mais telle est l’inconséquence de la nature humaine, qu’un hôte d’un caractère si bizarre et si capricieux donnât à mistress Dods une satisfaction égale à celle que lui avait procurée son tranquille et simple ami M. Tyrrel. Si son locataire actuel pouvait blâmer, il pouvait aussi applaudir ; et jamais l’artiste, quand il a, comme mistress Dods, conscience de son propre talent, n’est indifférent aux éloges d’un connaisseur tel que M. Touchwood. L’orgueil de bien faire et d’en être louée la consolait d’un surcroît de travail ; et chose qui n’était pas indigne de la considération de cette très honnête aubergiste, c’est que les hôtes qui donnent le plus d’embarras sont ordinairement ceux dont les mémoires montent le plus haut et qui les paient avec la meilleure grâce. Sur ce point, Touchwood était un véritable trésor. Il ne se refusait jamais la moindre fantaisie, quelque dépense qu’elle pût lui occasionner, quelque peine que dussent se donner ceux qui le servaient ; et cependant il protestait toujours que l’objet en question était pour lui la chose la plus indifférente qui fût au monde. Que diable se souciait-il des sauces de Burgess, lui qui avait mangé son kouscoussou sans autre assaisonnement que le sable du désert ! Mais c’était une honte pour mistress Dods de ne pas avoir certaines