Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/44

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« Le château était dans un tumulte général : ici les hommes de guerre s’occupaient à saccager et à détruire les provisions ; là ils tuaient hommes, chevaux, bœufs et moutons, et cette besogne était accompagnée du bruit que l’on peut s’imaginer. Les bestiaux en particulier avaient pressenti le sort qui les menaçait, et par une résistance gauche, par de piteux mugissements, témoignaient cette répugnance instinctive avec laquelle ces pauvres animaux approchent d’un abattoir. Les gémissements et les sanglots des hommes qui recevaient ou allaient recevoir le coup mortel, et les hurlements des pauvres chevaux livrés à l’agonie de la mort, formaient un chœur épouvantable. Hugonnet aurait voulu se soustraire à ce hideux spectacle, à ce lugubre concert ; mais son maître, Douglas le père, avait été un homme de quelque instruction ; et le vieux serviteur désirait ardemment sauver un livre de poésie auquel ce Douglas attachait jadis beaucoup de valeur. Il contenait les chants d’un ancien barde écossais qui, s’il ne parut être qu’une simple créature humaine tant qu’il demeura en ce monde, ne doit peut-être pas porter aujourd’hui le simple nom d’homme.

« Bref, c’était ce Thomas, surnommé le Rimeur, et dont l’intimité, dit-on, était devenue si grande avec ces êtres surnaturels qu’on nomme fées, qu’il pouvait, comme elles, prédire de loin les choses futures : il réunissait dans sa personne la qualité de barde et celle de devin. Mais depuis plusieurs années, il avait presque entièrement disparu de la scène de ce monde, et quoique l’époque et le genre de sa mort n’eussent jamais été publiquement connus, cependant, d’après la croyance générale, il n’avait pas été ravi à la terre des vivants, mais transporté dans le pays des fées, d’où il faisait parfois des excursions sur la terre… Hugonnet était d’autant plus jaloux de préserver de la destruction les œuvres de cet ancien barde, que la plupart de ses prédictions et de ses poèmes étaient seulement conservés dans le château : ils contenaient même, disait-on, des choses qui intéressaient d’une manière toute particulière l’antique maison de Douglas, aussi bien que d’autres familles d’origine ancienne. Le ménestrel était donc résolu à sauver à tout prix ce volume de la destruction qui l’attendait dans l’incendie général auquel l’édifice venait d’être condamné par l’héritier de ses anciens possesseurs. Ce fut avec cette intention qu’il pénétra dans la vieille petite chambre voûtée qu’on nommait la Bibliothèque de Douglas, et qui pouvait contenir quelques douzaines de ces vieux livres écrits par les anciens chapelains, en ce genre de