Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 25, 1838.djvu/84

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sir John, la pure vérité, » répliqua le vieillard si long-temps épargné par la guerre, en portant la main à son front ; « mais il serait imprudent de communiquer toutes les remarques qui passent par la tête d’un vieux soldat dans les moments inactifs d’une garnison comme celle-ci. On se trompe aussi souvent qu’on a raison, et ainsi on se fait une réputation de rapporteur et de méchant parmi ses camarades, réputation que l’on mérite parfois, et il me semble que je ne serais pas bien aise de m’en faire une semblable. — Parle-moi franchement, et n’aie pas peur que j’hésite à te croire, quels que soient les gens dont tu as à m’entretenir. — Eh bien ! à vous parler franchement, je n’ai jamais redouté les grands airs de ce jeune chevalier, attendu que je suis le plus vieux soldat de la garnison, et que je décochais des flèches avec mon grand arc bien long-temps avant qu’il eût cessé de téter sa nourrice. — C’est donc sur mon lieutenant et ami, Aymer de Valence, que se portent tes soupçons ? — Je n’ai rien à dire quant à l’honneur de ce chevalier qui est aussi brave que l’épée qu’il porte, et qui, pour sa grande jeunesse, occupe déjà un rang distingué sur la liste des chevaliers anglais ; mais il est extrêmement jeune, comme Votre Seigneurie le sait, et j’avoue que les gens dont il fait sa compagnie me troublent et m’inquiètent. — Oh ! tu sais bien, Greenleaf, que dans le loisir d’une garnison un chevalier ne peut toujours chercher ses plaisirs et ses amusements parmi ses égaux seuls, qui d’ailleurs ne sont pas si nombreux, et peuvent ne pas être aussi gais, aussi disposés à se divertir qu’il le désirerait. — Je sais bien cela : aussi ne dirais-je absolument rien contre le lieutenant de Votre Honneur, s’il se contentait de s’adjoindre d’honnêtes drôles, bien qu’inférieurs par leur rang, pour jouer à l’anneau ou s’escrimer au bâton. Mais sir Aymer de Valence aime à entendre conter des histoires guerrières d’autrefois, et il me semble qu’il ferait bien d’aller en demander aux anciens soldats qui ont suivi Édouard Ier, à qui Dieu fasse paix ! et qui, avant l’époque d’Édouard, ont fait les guerres des barons et assisté à tant de sanglantes batailles avec les chevaliers et les archers de la joyeuse Angleterre : cela, en vérité, conviendrait mieux au neveu du comte de Pembroke, que de s’enfermer tous les jours avec un ménestrel vagabond, qui gagne sa vie à réciter des sornettes et débite aux jeunes gens assez complaisants pour les croire des choses d’après lesquelles on ne saurait dire s’il a les opinions d’un Anglais ou d’un Écossais, et moins encore savoir s’il est né en