Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/104

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CHAPITRE IX.

LA FAMILLE DEANS.


Reuben et Rachel, tout en s’aimant comme des tourterelles, étaient encore prudents et sages dans leur tendresse, ne voulant pas obéir aux ordres impérieux de l’amour avant qu’une froide réflexion les eût déterminés à se donner la main. Pauvres tous deux, ils pensaient que leur précoce amour ne devait pas les rendre plus pauvres encore.
Crabbe, Le Registre de paroisse.


Tandis que la veuve Butler et le veuf Deans luttaient contre la pauvreté, et contre le sol ingrat et stérile des lots et portions du domaine de Dumbiedikes qui leur étaient concédés, on s’apercevait de jour en jour que Deans sortirait vainqueur de cette lutte dans laquelle sa voisine allait succomber. Le premier était encore dans la force de l’âge, mistress Butler approchait du déclin de la vie. Il est vrai que ce désavantage devait être un jour compensé ; car Reuben, qui grandissait, devenait de plus en plus capable d’aider sa grand’mère dans ses travaux, et Jeanie Deans, qui n’était qu’une faible fille, ne pouvait, selon toute apparence, qu’augmenter le fardeau de son père. Mais Douce Davie Deans était prudent ; il avait si bien élevé et instruit sa fille, sa mignonne, comme il l’appelait, qu’aussitôt qu’elle put se tenir sur ses pieds, elle eut tous les jours à remplir une tâche proportionnée à son âge et à sa force. De telles habitudes, ainsi que les instructions et les lectures journalières de son père, finirent par donner à la jeune enfant une tournure d’esprit grave, sérieuse, ferme et réfléchie. Une vigueur extraordinaire et un tempérament robuste, exempt d’affections nerveuses et de toute maladie qui, en affaiblissant le corps, influent si souvent sur l’esprit, contribuèrent puissamment à former ce caractère fort, simple et décidé.

Au contraire, Reuben était d’une santé délicate ; et, quoiqu’il ne fût pas ce que l’on nomme timide, on pouvait le croire d’un caractère craintif, irrésolu et inquiet. Il tenait beaucoup du tempérament de sa mère, qui était morte, jeune encore, de la poitrine. Il était pâle, fluet, débile, maladif, et boitait un peu, par suite d’un accident d’enfance. De plus, la sollicitude trop attentive de sa bonne grand’mère lui eut bientôt inspiré une sorte de défiance de lui-même, avec un penchant à s’exagérer sa propre impor-