Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/134

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pelez-moi Apollyon, Astaroth ; donnez-moi le nom que vous voudrez choisir, en prêtre qui connaît ceux des esprits infernaux de toutes les classes, vous n’en trouverez pas un qui soit plus odieux à celui qui le porte que le mien ne l’est à moi-même. »

Il prononça ces mots avec le ton d’amertume d’un homme à qui sa conscience fait de grands reproches, et une expression de physionomie véritablement satanique. Butler, quoique doué d’une certaine fermeté, fut interdit ; car un grand malheur moral a en soi quelque chose de sublime qui frappe et émeut tous les hommes, ceux-là surtout qui sont disposés à la bienveillance et à la sympathie. L’étranger s’éloigna brusquement de Butler après lui avoir parlé ainsi ; mais, se retournant tout à coup, il revint à lui d’un pas précipité, et lui dit d’un ton résolu : « Je vous ai dit qui j’étais : et vous, qui êtes-vous ? quel est votre nom ?

« Butler, » répondit-il, surpris d’une question si subite et de la manière violente avec laquelle elle lui était adressée ; « Reuben Butler, prédicateur de l’Évangile. — Butler ! » répéta l’étranger en enfonçant davantage son chapeau sur ses yeux ; « Butler ! l’adjoint du maître d’école de Libberton ? »

« Lui-même, » répondit celui-ci d’un ton calme.

L’étranger se couvrit la figure de ses deux mains, comme frappé d’une réflexion soudaine, s’éloigna, puis s’arrêta après avoir fait quelques pas ; voyant que Butler le suivait de l’œil, il lui dit d’une voix ferme mais étouffée, et qu’il semblait ménager pour n’être point entendu au-delà de l’endroit où était Butler : « Quittez-moi, et faites ma commission ; ne me suivez pas. Je ne descendrai pas dans les entrailles de ces rochers, je ne m’évanouirai pas comme un éclair ; et l’œil qui suivrait ma trace aurait lieu de regretter que ses paupières n’eussent pas toujours été fermées. Partez, et ne regardez pas derrière vous. Dites à Jeanie Deans qu’au lever de la lune je l’attendrai au cairn de Nicol-Muschat, près de la chapelle de Saint-Antoine. »

En parlant ainsi, il se dirigea vers la colline avec autant de précipitation que sa voix avait eu d’autorité.

Craignant vaguement de voir encore augmenter son malheur qu’il pensait ne pouvoir plus s’accroître, et désespéré qu’il existât un homme qui osât envoyer un message aussi extraordinaire et aussi impérieux à l’objet de son premier et unique attachement à une fille avec laquelle il était presque fiancé, Butler marcha rapidement vers la chaumière pour s’assurer quel droit avait cet