Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jours renoncer facilement à des émotions aussi douces. Elle pleura amèrement pendant quelques minutes, sans même essayer de retenir ses larmes ; mais elle se reprocha bientôt de s’abandonner ainsi à son chagrin personnel, tandis que son père et sa sœur étaient accablés d’un malheur irréparable. Elle tira de sa poche la lettre qui avait été jetée le matin dans sa chambre par la fenêtre, et dont le contenu était aussi singulier qu’exprimé en termes énergiques. Si elle voulait préserver un homme du plus horrible crime et de toutes ses conséquences, si elle désirait sauver l’honneur et la vie de sa sœur des serres sanguinaires d’une loi inique, si elle craignait de compromettre la paix de son âme en ce monde et son bonheur dans l’autre, il fallait, disait la lettre, qu’elle donnât à celui qui lui écrivait un rendez-vous secret dans un lieu sûr et isolé. Elle seule pouvait le secourir, et lui seul pouvait lui être utile. Il était dans une position telle, ajoutait le billet, que toute tentative pour amener un témoin à leur entrevue, ou même la communication de cette lettre à son père ou à qui que ce fût, empêcherait l’entrevue et assurerait la perte de sa sœur. La lettre se terminait par des protestations emphatiques, mais énergiques, qu’en accordant ce qu’on lui demandait, elle ne courait aucun risque.

Le message que lui avait transmis Butler de la part de l’étranger du Parc s’accordait parfaitement avec cette lettre ; mais il indiquait pour le rendez-vous une heure plus avancée et un autre endroit. Sans doute, l’auteur de la lettre avait été forcé d’initier Butler à ce mystère par la nécessité de faire savoir ce changement à Jeanie. Elle avait été plusieurs fois sur le point de montrer le billet à Butler pour se défendre contre ses soupçons. Mais l’orgueil de l’innocence ne consent pas toujours à descendre à une justification ; et en outre, les menaces que renfermait la lettre, si elle trahissait le secret, pesaient aussi sur son cœur. Il est probable toutefois que si elle était restée plus long-temps avec Butler, elle se serait décidée à tout lui découvrir et à suivre ses directions. Et quand l’interruption de leur entretien lui eût ôté le moyen de le faire, il lui sembla qu’elle avait été injuste envers un ami dont les avis lui eussent été très-utiles, et dont l’attachement méritait une pleine et entière confiance.

Elle regardait comme trop imprudent de consulter son père en pareille occasion ; il était impossible de prévoir comment le vieux Deans considérerait cette affaire, lui qui n’agissait et ne pensait,