Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/170

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pandœmonium de Richard Bovet[1] avait trouvé une issue pour pénétrer dans les entrailles de la terre où les fées célèbrent leurs mystères nocturnes.

Jeanie Deans connaissait trop bien toutes ces légendes pour pouvoir se défendre de l’impression profonde qu’elles font ordinairement sur l’imagination. Depuis son enfance elle avait été habituée à entendre des récits de ce genre ; c’était la seule distraction qu’offrît la conversation de son père, qui roulait presque toujours sur des points de controverse, ou sur l’histoire de ces martyrs du Covenant, qu’il se vantait avec orgueil d’avoir connus, et dont il se plaisait journellement à rapporter les courageux efforts, la manière intrépide dont ils rendaient témoignage, la captivité, les évasions miraculeuses, les tortures et même l’exécution. Ces enthousiastes visionnaires qui, pour fuir de cruelles persécutions, s’étaient souvent réfugiés dans les solitudes et les cavernes des montagnes, s’étaient persuadé qu’ils y étaient assaillis par l’ennemi du genre humain, comme dans les villes et les campagnes ils étaient exposés aux attaques du gouvernement tyrannique et de ses soldats. C’était sous l’influence de semblables terreurs

  1. C’est par erreur que, dans les premières éditions, on a dit que cette légende se trouve dans l’ouvrage de Baxter, intitulé le Monde des esprits ; elle existe réellement dans le Pandœmonium, ou Cloître du diable, de Richard Barton, in-12, 1684. Cet ouvrage, qui porte un dernier coup à l’hérésie moderne des Sadducéens, est dédié au docteur Henri More. L’histoire en question est intitulée : Anecdote remarquable d’un jeune garçon surnommé le lutin de Leith en Écosse, qui m’a été donnée par mon digne ami le capitaine George Burton, et attestée de sa main. Voici la relation de cette anecdote :
    « Il y a environ quinze ans qu’étant retenu par des affaires à Leith, près d’Édimbourg, dans le royaume d’Écosse, je me réunissais souvent à quelques personnes de ma connaissance dans une certaine maison où nous allions boire un verre de vin pour nous rafraîchir. La femme qui tenait la maison avait une bonne réputation parmi ses voisins, ce qui me fit donner plus d’attention à ce qu’elle me raconta un jour d’un jeune garçon qu’on avait surnommé le lutin de Leith, et qui habitait les environs de la ville. Elle m’en fit un récit si étrange, que je la priai de me procurer l’occasion de le voir, ce qu’elle promit de faire. Peu de temps après, passant devant sa maison, elle me dit que le lutin était là un instant auparavant ; et jetant un regard sur la rue, elle me dit : « Regardez, monsieur, le voilà qui joue avec d’autres enfants. » En même temps elle me le désigna. Je m’approchai de lui, et, par des paroles caressantes et une pièce de monnaie que je lui donnai, je l’attirai dans la maison, où, en présence de plusieurs personnes, je lui fis différentes questions astrologiques, auxquelles il répondit avec beaucoup de promptitude, et montra dans tous ses discours des connaissances beaucoup au-dessus de son âge, qui ne paraissait pas dépasser douze ans. Il faisait jouer ses doigts sur la table comme s’il battait du tambour. Sur quoi je lui demandai s’il savait battre ; il me répondit : « Oui, monsieur, aussi bien qu’aucun homme en Écosse, car tous les jeudis, au soir, j’exécute toutes les batteries à une espèce de gens qui ont l’habitude de se réunir au pied de cette montagne (m’indiquant du doigt la grande montagne qui est entre Édimbourg et Leith). — Comment, mon garçon, lui demandai-je ; quelle réunion avez-vous donc là ? — Il y a, monsieur, me dit-il, une grande réunion d’hommes et de femmes, et ils ont, outre mon tambour, un grand nombre d’autres instruments ; ils se rafraîchissent aussi avec une grande abondance de mets et de vins variés ; souvent nous nous transportons tous en France ou en Hollande pendant la nuit, et nous y jouissons de tous les plaisirs que le pays peut nous procurer. » Je lui demandai de quelle manière ils arrivaient au pied de cette montagne. Il me répondit qu’il y avait une grande porte à double battant qui, quoique invisible pour les autres, s’ouvrait pour eux ; que cette porte conduisait à de beaux et vastes appartements aussi bien meublés qu’aucun qu’il y eût en Écosse. Je lui demandai ensuite comment je pourrais reconnaître la vérité de ce qu’il me disait là-dessus. Il me répondit qu’il me dirait la bonne aventure ; il me prédit donc que j’aurais deux femmes, et ajouta qu’il voyait leurs formes assises sur mes épaules ; que toutes deux seraient de très-jolies femmes.
    « Pendant qu’il me parlait ainsi, une femme du voisinage entra, et lui demanda quel serait son sort. Il lui dit qu’elle aurait deux enfants avant de se marier : ce qui la mit dans une telle colère qu’elle ne voulut pas en entendre davantage. La femme de la maison me dit qu’il n’y avait pas une personne en Écosse qui pût l’empêcher d’aller à son rendez-vous du jeudi soir ; cependant, en lui promettant de lui donnée plus d’argent, j’obtins de lui qu’il viendrait me trouver le jeudi suivant dans l’après-midi, et le renvoyai pour le moment. L’enfant revint au lieu et au temps désignés, et j’engageai quelques amis à rester avec moi pour l’empêcher, s’il était possible, de s’échapper cette nuit-là. Il fut placé au milieu de nous, et répondit à plusieurs questions sans chercher à s’en aller, jusque vers les onze heures du soir, ou il disparut tout à coup sans être vu de personne ; mais moi, qui m’en étais soudainement aperçu, je courus à la porte, le saisis, et le fis rentrer dans la chambre avec moi. Nous le surveillâmes bien, ce qui n’empêcha pas qu’il ne trouvât moyen de sortir tout à coup. Je le suivis de près, et j’entendis dans la rue comme les pas de quelqu’un qui s’enfuit, et depuis ce moment je ne pus jamais le revoir.
    George Burton.