Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 26, 1838.djvu/336

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ou de l’aider dans l’acte de violence qu’elle semblait méditer ? c’est ce qu’il n’est pas facile de dire. La présence d’esprit de Jeanie la sauva dans cette circonstance critique : elle eut assez de fermeté pour conserver la posture et l’air d’une personne qui dort profondément, et de régler sa respiration de manière à répondre à son attitude.

La vieille femme lui passa la lumière devant les yeux ; et quoique ce mouvement excitât vivement les craintes de Jeanie, qui à travers ses paupières crut voir la figure de ses meurtriers, chaque fois qu’il fut répété, elle eut cependant la force de ne pas se démentir dans une feinte dont sa vie dépendait.

Lewit, l’ayant regardée fixement, entraîna avec lui la vieille femme dans l’autre partie de la grange, où ils reprirent leurs premières places. Jeanie eut la satisfaction d’entendre le voleur dire : « Elle dort aussi fort que si elle était dans son lit. Maintenant, la vieille, Dieu me damne si je devine rien à cette histoire que vous venez de me raconter, et si je vois ce que vous gagnerez à faire pendre une fille et à en tourmenter une autre ; mais n’importe, morbleu ! j’agirai en ami fidèle, et je vous servirai comme vous voulez l’être, quoique ce soit là une mauvaise affaire. Cependant je crois que je pourrais la mener à Surfleet, et là la mettre à bord du petit lougre de Tom Moonshine, et l’y retenir trois ou quatre semaines pour vous faire plaisir. Mais du diable si personne s’avise de la maltraiter, à moins qu’il ne veuille avoir affaire à moi… C’est une vilaine affaire que celle-là, et je voudrais qu’elle allât au diable, avec vous, Meg. — Comme vous voudrez, Lewit, dit la vieille femme ; vous êtes un garçon à qui il faut toujours passer ses fantaisies. Elle n’ira pas au ciel une heure plus tôt à cause de moi : peu m’importe qu’elle vive ou qu’elle meure ; c’est sa sœur, oui, sa sœur… — Eh bien, n’en parlons plus. J’entends Tom qui rentre. Nous allons faire un somme, et je vous conseille d’en faire autant. » Ils se retirèrent donc pour dormir, et au bout de quelques instants tout fut plongé dans le silence en ce repaire d’iniquité.

Jeanie resta long-temps éveillée. Au point du jour elle entendit les deux brigands quitter la grange après avoir parlé tout bas à la vieille femme pendant quelques instants. La pensée qu’elle n’avait plus autour d’elle que des personnes de son sexe lui rendit un peu de tranquillité, et son extrême lassitude finit par lui procurer quelques heures de sommeil.