Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 4, 1838.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renvoya ses femmes et ne retint que Rose. « Que penses-tu de tout ceci, ma sage conseillère ? lui dit-elle.

— Je voudrais, reprit Rose, que ce jeune chevalier ne fût jamais venu dans ce château, ou, qu’y étant, il pût le quitter à l’instant, ou enfin qu’il pût honorablement y rester toujours.

— Qu’entends-tu par y rester toujours ? » demanda Éveline avec empressement.

« Permettez-moi de répondre à cette question par une autre : combien y a-t-il de temps que le connétable de Chester a quitté l’Angleterre ?

— Il y aura trois ans à la Saint-Clément, dit Éveline ; et que signifie cette question ?

— Rien ; mais…

— Mais, quoi ? je vous ordonne de parler.

— Dans quelques semaines votre main sera libre.

— Et croyez-vous, Rose, » dit Éveline en se levant avec dignité, « qu’il n’y a pas d’autres liens que ceux qui sont formés par la plume d’un scribe ? Nous connaissons peu les aventures du connétable, mais pourtant nous en savons assez pour croire que ses hautes espérances ont été déçues, et que son épée et son courage ont été trop faibles pour vaincre le sultan Saladin. Supposons qu’il revienne dans quelque temps, comme nous avons vu revenir tant de croisés, pauvres et affaiblis ; supposons qu’il trouve ses biens dévastés, et ses serviteurs dispersés, par suite de leurs derniers malheurs : que penserait-il s’il trouvait que sa fiancée eût épousé et enrichi le neveu dans lequel il avait le plus de confiance ? Crois-tu qu’un pareil engagement soit comme l’hypothèque d’un Lombard, qu’il faut retirer le jour même, sinon la perte en est certaine ?

— Je ne puis rien vous dire, madame, reprit Rose ; mais ceux qui tiennent parole à la lettre ne sont, dans mon pays, tenus à rien de plus.

— C’est une mode flamande, Rose, dit sa maîtresse ; mais une Normande ne se contente pas d’observer ses obligations si strictement. Quoi ! voudrais-tu que mon honneur, mes affections, mon devoir, tout ce qui est le plus cher à une femme, dépendissent du calendrier, comme fait l’usurier qui épie l’instant où il pourra saisir l’objet engagé ? Suis-je donc à une telle extrémité que je doive appartenir à un homme s’il me réclame à la Saint-Michel, ou à un autre, si le premier vient trop tard ? Non, Rose, je n’ai