s’est arrêté seulement pour boire deux pintes de tippenny[1], et pour nous dire que milady vient de ressentir les douleurs de l’enfantement.
— Peut-être que dans une telle circonstance l’arrivée d’un étranger sera peu agréable ? répliqua Mannering.
— Oh ! non, vous ne devez rien craindre à cet égard ; leur maison assez grande, et le moment où une femme accouche est toujours un heureux moment. »
Pendant ce dialogue, Jack, ayant trouvé moyen d’éviter les trous d’une veste déguenillée et d’une culotte plus mauvaise encore, sortit de la maison ; sa grosse tête était couverte de cheveux blancs, ses jambes étaient nues : c’était un gros garçon de douze ans, autant que Mannering en put juger à la lueur d’une lampe de veillée que la mère de cet enfant, à demi nue, tenait de façon à pouvoir jeter un coup d’œil sur l’étranger, sans oser beaucoup s’exposer à ses regards. Jack tourna à gauche en quittant la maison, conduisant le cheval de Mannering par la bride, et prit par le sentier étroit qui longeait la formidable mare, dont la proximité se faisait sentir à d’autres organes que le sien ; menant alors le cheval fatigué le long d’un chemin rompu, plein de cailloux et d’ornières, il entra enfin dans un champ labouré, ouvrit ensuite un slap[2], comme il l’appelait, dans un vieux mur en pierre, tira l’animal docile à travers la brèche, environ un quart d’arpent, sur les débris de la maçonnerie grossière qui se brisaient en éclats sous ses pieds. Enfin il passa à travers un guichet, et prit un chemin qui ressemblait encore un peu à une avenue, quoique bon nombre d’arbres eussent été abattus.
On entendait alors très distinctement les mugissements de l’Océan, et la lune, qui commençait à paraître, éclairait un bâtiment d’une étendue considérable, garni de tours, et qui paraissait tombé en ruine. Mannering fixa ses regards sur ce bâtiment avec une sensation douloureuse.
« Eh ! mon petit ami, dit-il, ce sont des ruines et non une maison.
— Ah, c’était pourtant la demeure des lairds, il y a long-temps ; c’est la vieille Place d’Ellangowan. Il y revient des esprits ; mais ne craignez rien, je n’en ai jamais vu un seul, moi qui vous parle… et nous voici à la porte de la nouvelle Place. »