Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Assurément je n’ai pas l’ambition de passer pour un excellent écuyer ; mais pendant que je servais en qualité d’aide-de-camp de sir…, dans l’affaire où la cavalerie donna l’an passé, Je vis démonter de meilleurs cavaliers que moi.

— Ah ! vous avez contemplé en face le terrible dieu des combats ? vous avez connu les fureurs de Mars ? Il ne vous manquait plus que cela pour achever de vous rendre digne de l’épopée. Vous vous rappellerez cependant que les Bretons combattaient sur des chariots ; covinarii[1] est la phrase de Tacite. Vous vous rappelez la belle description de la manière dont ils fondirent sur l’infanterie romaine, quoique l’historien nous dise combien la surface montueuse du pays était peu propre à un combat équestre ; et réellement je me suis toujours demandé avec étonnement quelle espèce de chariots on pouvait traîner en Écosse hors des grands chemins, Eh bien ! voyons, les Muses vous ont-elles visité ? avez-vous quelque chose à me montrer ?

— Mon temps, dit Lovel en jetant un regard sur ses vêtemens noirs, a été moins agréablement employé.

— Vous avez perdu un ami ? dit l’Antiquaire.

— Oui, monsieur Oldbuck, et presque le seul ami que je puisse m« vanter d’avoir possédé jamais.

— En vérité ! reprit alors le vieux gentilhomme d’un ton sérieux bien différent de la gravité ordinaire qu’il affectait. Jeune homme, ne rejetez pas les consolations qui vous restent. La mort, en vous enlevant un ami tandis que votre attachement mutuel était encore dans toute sa force, dans toute sa chaleur, et qu’aucun souvenir de froideur, de méfiance ou de trahison ne vient mêler son amertume aux larmes que vous donnez à sa perte, vous évite peut-être une épreuve plus cruelle encore. Regardez autour de vous : combien peu en voyez-vous vieillir dans ces raisons qui furent formées dès le premier âge de la vie. La source où nous puisions en commun nos plaisirs va se desséchant à mesure que nous avançons dans le voyage, et nous en formons de nouvelles, dont les premiers compagnons de notre route sont le plus souvent exclus ; la jalousie, l’envie, les rivalités, viennent successivement éloigner de nous ceux que nous croyions nos meilleurs amis. Nous restons donc seuls avec ceux que l’habitude nous conserve plus que le penchant, et qui ne tenant à nous par d’autre lien que par le sang, restent auprès du vieillard pendant sa vie pour n’en être pas oubliés à sa mort.

  1. Hommes qui combattent sur un chariot armé de faux. a. m.