Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/142

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invite plus de que la table ne peut en contenir… Je l’ai vu prier trois convives pour manger deux œufs. — Chut ! chut ! » dit Bletson ; et les domestiques sortant de derrière l’immense buffet, annoncèrent le colonel Éverard. Peut-être ne sera-t il pas indifférent au lecteur de connaître la compagnie au milieu de laquelle il arrive.

Desborough était un homme vigoureux, à cou de taureau, de taille moyenne, avec des traits excessivement communs, des sourcils grisonnants et des yeux vairons[1]. L’éclat de la fortune de son tout-puissant parent n’avait pas peu contribué à lui procurer des vêtements assez riches et surtout beaucoup plus ornés qu’il n’était d’usage parmi les Têtes-rondes. Il avait des broderies à son manteau et de la dentelle à sa cravate. À son chapeau flottait une plume retenue par une agrafe d’or. Enfin, tout son costume était plutôt celui d’un Cavalier ou d’un courtisan que l’accoutrement simple d’un officier parlementaire. Mais, le ciel le sait ! il y avait bien peu des grâces et de la dignité d’un homme de cour dans la tournure et l’extérieur de ce personnage, à qui son bel habit allait aussi bien que sied au pourceau d’une enseigne sa riche armure d’or. Il n’était pas précisément laid ou difforme, car, pris en détail, chacun de ses traits était assez bien ; mais ses membres semblaient se mouvoir d’après des principes d’action différents et contradictoires. Ils n’étaient pas, comme a dit un auteur comique, dans une parfaite concaténation ; sa main droite agissait comme si elle n’eût pas été d’accord avec la gauche ; et ses jambes se montraient disposées à marcher dans des directions différentes et contraires. Bref, pour employer une comparaison extravagante, les membres du colonel Desborough paraissaient plutôt ressembler aux représentants querelleurs d’un congrès fédératif qu’à l’union fortement cimentée des ordres de l’État dans une monarchie ferme et immuable, où chacun est à sa place, et où tous obéissent aux mêmes lois.

Le général Harrison, deuxième commissaire, était un homme grand, sec, de moyen âge, qui s’était élevé jusqu’au grade éminent qu’il occupait dans l’armée, et avait mérité la faveur de Cromwell aussi bien par son courage intrépide sur le champ de bataille que par la popularité qu’il s’était acquise au milieu des saints militaires, des sectaires et des indépendants qui composaient l’armée en majeure partie. Harrison était sorti de basse extraction, et

  1. Wall-eyes, dit le texte, pour exprimer des yeux de couleur différente. a. m.