Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/220

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sa chaise de celle d’Éverard ; puis, prenant un ton solennel et mystérieux, il lui dit presque à voix basse : « Je l’ai revu cette nuit — Revu… Qui ? dit Éverard ; voudriez-vous parler de celui… que… — Que j’ai vu si impitoyablement massacrer… mon ancien ami de collège… Joseph Albany. — Maître Holdenough, votre habit et votre caractère devraient vous défendre de plaisanter sur un tel sujet. — Moi, plaisanter ! je plaisanterais plutôt à mon lit de mort, sur la Bible même. — Mais vous avez sans doute mal vu : cette scène tragique doit nécessairement revenir bien des fois à votre esprit ; et dans un moment où l’imagination l’emportait sur le témoignage des sens extérieurs, elle peut vous avoir présenté de fausses apparences ; rien n’est plus ordinaire quand l’esprit recherche des choses surnaturelles, que l’imagination vous présente en place des chimères ; et alors l’esprit, trop exalté, chasse difficilement l’illusion. — Colonel Éverard, » répliqua Holdenough avec gravité, « dans l’accomplissement de mon devoir je ne dois pas redouter la figure d’un homme ; ainsi, je vous dis clairement, comme je l’ai déjà fait avec plus de retenue, que quand vous employez votre jugement et vos connaissances mondaines (et vous n’êtes que trop disposé à pénétrer les événements cachés de l’autre monde), vous pourriez aussi bien mesurer avec le creux de votre main les eaux de l’Isis[1]. Certainement, mon cher monsieur, vous vous trompez sous ce rapport, et donnez par cela même aux malveillants une trop grande raison de confondre votre honorable nom avec ceux des défenseurs des sorcières, des exaltés, des athées, et même de ces gens semblables à ce Bletson, qui, si la discipline de l’Église ne se fût pas relâchée, mais fût restée telle qu’elle était au commencement de la grande lutte, eût été depuis long-temps rejeté de son sein, et abandonné au châtiment de la chair, afin de sauver son âme, si du moins c’était encore possible. — Vous êtes dans l’erreur, maître Holdenough ; je ne nie pas l’existence de ces apparitions surnaturelles, parce que je ne puis ou n’ose élever la voix contre le témoignage des siècles, soutenu par de si savants hommes que vous. Cependant, quoique j’en admette la possibilité, je vous avouerai que de mes jours je n’ai jamais entendu parler d’apparition assez positivement pour dire moi-même si le fait dénotait ou non une puissance plus qu’humaine. — Écoutez donc ce que j’ai à vous dire, répliqua le ministre, sur la parole d’un homme, d’un chrétien, et qui plus est d’un serviteur de notre sainte Église, d’un

  1. Rivière d’Oxford. a. m.