Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/36

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nait. Il ne fut pas long-temps à apercevoir deux personnes, un homme et une femme, qui marchaient lentement, et si occupés de leur conversation qu’ils ne levèrent pas les yeux pour voir qu’il y avait un étranger devant eux. Le soldat, profitant de leur distraction, et désirant surveiller leurs mouvements sans être vu, se glissa derrière un des gros arbres qui bordaient la route, et dont les branches tombant à terre empêchaient qu’il ne fût découvert, à moins qu’on ne vînt exprès l’y chercher.

Cependant le monsieur et la dame continuaient à s’avancer, dirigeant leur marche vers un banc rustique où brillaient encore les rayons du soleil, et adossé à l’arbre même derrière lequel s’était caché l’étranger.

L’homme était un vieillard qui semblait plus encore courbé par le chagrin et les infirmités que par le poids des ans. Il portait un manteau de deuil par dessus un habillement de couleur noire, de cette coupe pittoresque que Van Dyck a rendue immortelle. Mais, quoique l’habit fût beau, il avait été mis et il était porté avec une négligence qui prouvait que ce personnage n’avait pas l’esprit fort tranquille. Sa figure âgée, mais belle encore, était empreinte de cet air de noblesse qui distinguait son habillement et sa démarche. Ce qui frappait le plus dans tout son extérieur, c’était une longue barbe blanche qui descendait au dessous de sa poitrine sur son pourpoint à taillades, et contrastait singulièrement avec la couleur de ses vêtements.

La jeune dame qui donnait le bras à ce respectable vieillard, et semblait presque le soutenir, avait la forme légère d’une sylphide et une taille si délicate, une figure si belle, qu’il semblait que la terre où elle marchait ne fût pas digne de supporter une créature si aérienne. Mais toute beauté mortelle a aussi ses peines terrestres. Les yeux de cet être charmant montraient des traces de larmes ; ses couleurs devenaient plus vives à mesure qu’elle écoutait son vieux compagnon ; et il était évident, d’après ses regards tristes et langoureux, que la conversation était aussi pénible pour l’un que pour l’autre. Lorsqu’ils furent assis sur le banc, le soldat, qui était aux écoutes, put entendre distinctement les paroles du vieillard ; mais beaucoup moins bien les réponses de la jeune dame.

« C’est à n’y pas tenir, » dit le vieillard avec chaleur ; « il y aurait réellement de quoi faire d’un pauvre paralytique un brave soldat… Ou mes gens ont péri, ou ils m’ont abandonné dans ces temps malheureux… Je ne dois pas leur en vouloir : car que devien-