Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/375

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surveillance de Jocelin sur son camarade avait pour cause non seulement son dévouement à la personne du roi, mais encore quelques vagues soupçons que Tomkins était assez disposé à braconner sur son domaine.

Phœbé, en fille prudente, se faisait, autant que possible, un rempart de la présence de Goody Jellicot. Mais l’indépendant, ou quel qu’il fût, n’en continuait pas moins ses frais de galanterie, mais inutilement ; car Phœbé paraissait aussi sourde que la vieille matrone qui l’était sans le vouloir. Cette indifférence irritait l’ardeur de son nouvel amant : aussi épiait-il avec le plus grand soin le temps et le lieu où il pourrait faire valoir ses prétentions sur le cœur de Phœbé avec une énergie qui commandât l’attention. Mais la fortune, cette divinité perfide qui souvent nous perd en nous accordant l’objet de nos vœux, lui procura enfin l’occasion qu’il avait si long-temps convoitée.

C’était vers le coucher du soleil ou un peu après : Phœbé, qui était chargée de presque tous les soins du ménage, était allée jusqu’à la fontaine de Rosemonde puiser de l’eau pour le repas du soir ; il lui fallait se conformer aux préjugés du vieux chevalier, qui prétendait qu’il était impossible de trouver de l’eau aussi pure ailleurs que dans cette précieuse source : le respect que tous les membres de la famille avaient pour lui était si grand que négliger de lui plaire, eût-on dû en éprouver soi-même quelque inconvénient, eût semblé aussi coupable que l’omission d’un devoir religieux.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, il n’était pas facile de remplir la cruche ; mais l’industrieux Jocelin avait aplani la difficulté en réparant grossièrement une partie du bassin ruiné de l’ancienne fontaine, de sorte que l’eau, rassemblée et coulant dans un tuyau de bois, tombait d’une hauteur d’environ deux pieds. On pouvait donc placer sa cruche au dessous du conduit, qui laissait tomber l’eau presque goutte à goutte, et attendre qu’elle fût remplie.

Le soir en question, Phœbé May-Flower voyait pour la première fois cette petite amélioration, et l’attribuant avec raison à une galanterie de son admirateur champêtre qui avait voulu lui rendre moins pénible sa tâche quotidienne, elle employa, en fille reconnaissante, les instants de loisir dont elle put disposer, à réfléchir sur le bon caractère et l’habilelé de l’obligeant ingénieur, et peut-être à penser qu’il aurait aussi bien fait de l’attendre auprès de la fontaine pour qu’elle pût le remercier de la peine qu’il avait prise.