Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/96

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lancer ses flèches, ou de se promener comme le chevalier errant dont il avait lu l’histoire, sonnant du cor et envoyant des défis au géant ou au chevalier païen qui s’y défendait.

Il se rappelait comment il forçait ordinairement sa cousine, quoique de plusieurs années plus jeune que lui, à prendre part à ces folies d’enfant, et à jouer le rôle d’un page lutin, d’une fée ou d’une princesse enchantée. Il se rappelait aussi plusieurs circonstances de leur longue intimité, qui l’avaient porté nécessairement à croire que depuis long-temps leurs parents nourrissaient l’idée qu’on pourrait faire entre sa cousine et lui un fort bon mariage. Mille visions, qui avaient égayé une perspective si brillante, s’étaient évanouies depuis bien des années ; mais elles revenaient alors comme des ombres pour lui rappeler tout ce qu’il avait perdu… « Et pourquoi ? » se demandait-il en lui-même… « Pour l’amour de l’Angleterre, répondait fièrement sa conscience… de l’Angleterre exposée à devenir en même temps la proie de la bigoterie et de la tyrannie. » Puis il se fortifiait par cette réflexion : « Si j’ai sacrifié mon bonheur privé, c’est pour que mon pays puisse jouir de la liberté des consciences et de celle des personnes, qu’il allait perdre vraisemblablement sous un prince faible et des ministres usurpateurs. »

Mais cette noble réponse n’imposait pas silence à la cruelle furie qui déchirait son cœur. « Ta résistance, lui demandait-elle, a-t-elle donc été bien utile à ton pays, Markham Éverard ? Après tant de sang répandu et tant de misère, l’Angleterre n’est-elle pas au même niveau sous l’épée d’un soldat heureux qu’elle l’était avant sous le sceptre d’un prince dominateur ? Les parlements, ou leurs débris, sont-ils capables de lutter contre un capitaine, maître du cœur de ses soldats, aussi entreprenant et aussi subtil qu’impénétrable dans ses desseins ? Ce général, qui commande à l’armée et par elle tient le destin du peuple entre ses mains, se dépouillera-t-il de son autorité, parce que la philosophie viendra lui dire que son devoir est de redevenir sujet ? »

Il n’osait répondre que la connaissance du caractère de Cromwell l’autorisait à attendre de lui un tel acte d’abnégation ; puis il réfléchissait encore que, dans un temps si difficile, le meilleur gouvernement, quoique peu désirable en lui-même, devait du moins être celui qui rendrait le plus promptement la paix au pays, et cicatriserait les blessures que les partis opposés se faisaient chaque jour l’un à l’autre. Il s’imaginait que Cromwell était la seule autorité capable de fonder un gouvernement solide, c’est pourquoi il s’était