Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 8, 1838.djvu/99

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ami… je suis toujours le même Roger Wildrake, aussi vif qu’un canard sauvage, mais un vrai coq de combat. Je suis ton camarade… je te suis attaché par tes bienfaits… devinctus beneficio… c’est latin, je pense ? Et quel est le message que je ne voudrais pas ou n’oserais pas remplir, quand bien même ce serait de scier les dents du diable avec ma rapière, quand bien même il aurait fait son déjeuner de quelques Têtes-rondes ? — Il y a de quoi me rendre fou, dit Éverard… Quand je vais confier à tes soins ce que j’ai de plus précieux au monde, tu agis et tu parles comme un échappé de Bedlam ! La nuit dernière j’ai supporté ta folie, parce que je l’attribuais à l’ivresse ; mais comment endurer encore tes extravagances ce matin ?… C’est dangereux pour toi et pour moi, Wildrake… c’est un manque d’amitié… que je pourrais qualifier d’ingratitude. — Non ! ne dis pas cela, mon ami, » répliqua le Cavalier avec émotion ; « et ne méjuge pas si sévèrement. Nous qui avons tout perdu dans ces moments désastreux, qui sommes forcés de vivre, non pas au jour le jour, mais de repas en repas… nous dont le seul gîte est une prison, dont toute la perspective de repos est un gibet… que peux-tu exiger de nous, si ce n’est de supporter un tel destin avec indifférence, puisque nous en serions écrasés si nous paraissions nous en affliger. »

Wildrake parla sur un ton de sensibilité qui trouva dans le cœur d’Éverard une corde qui y répondit. Il prit la main de son ami, et la serra affectueusement.

« Ah ! s’il te semble que je t’ai parlé durement, Wildrake, je t’assure que c’était plutôt dans ton intérêt que dans le mien. Je sais que, malgré toute ta légèreté, tu as un principe d’honneur et des sentiments aussi élevés qu’il est possible d’en rencontrer dans un cœur d’homme ; mais tu es inconsidéré… tu es téméraire… et je te proteste que si tu allais te nuire à toi-même dans l’affaire dont j’ai l’intention de te charger, les suites fâcheuses qui en résulteraient pour moi m’affligeraient moins encore que l’idée de t’avoir exposé à un tel péril. — Diable ! si tu le prends sur ce ton, Mark, » dit le Cavalier en s’efforçant de sourire, évidemment pour cacher une émotion bien différente, « de par la garde de mon épée ! tu feras de nous des enfants… des poupons qui tètent encore. Allons, crois-moi : je sais être prudent quand il le faut… Personne ne m’a vu boire quand on pressentait une alarme… et je ne goûterai pas une seule pauvre pinte de vin avant d’avoir terminé ton affaire. Eh bien ! je suis ton secrétaire… ton clerc, j’oubliais… Il faut proba-