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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/189

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mes, mais aussi dans sa manière d’en changer l’expression. Quand on passe de la peine à la joie, du chagrin à la satisfaction, il y a d’ordinaire un léger intervalle avant que la passion dominante remplace entièrement sur la figure celle qui l’a précédée : c’est comme une sorte de crépuscule semblable au passage des ténèbres à la lumière ; les muscles se dégonflent, l’œil s’éclaircit, le front se déride, et toute la physionomie devient calme et sereine. La figure de Rashleigh ne passait par aucune de ces nuances, mais prenait subitement l’expression d’une passion tout opposée : on eût dit un changement à vue sur un théâtre où le sifflet du machiniste fait disparaître une caverne et naître un bocage.

Je fus surtout frappé de cette singularité dans cette occasion. En entrant, Rashleigh était sombre comme la nuit ; il entendit, sans changer de contenance, mes excuses et l’exhortation de son père ; et ce ne fut que lorsque sir Hildebrand eut cessé de parler, que ses traits s’éclaircirent tout d’un coup, et qu’il m’exprima, dans les termes les plus polis et les plus bienveillants, qu’il était parfaitement satisfait de mes excuses.

« En vérité, dit-il, j’ai une si faible tête, que, quand je lui fais porter plus de trois verres de vin, je n’ai plus, comme l’honnête Cassio, qu’un vague souvenir de la veille. Je me rappelle les choses en gros, mais confusément… une querelle, et rien de plus ! Ainsi mon cher cousin, continua-t-il en me serrant amicalement la main, jugez combien je suis charmé de recevoir des excuses, quand je croyais avoir à en faire : ne parlons plus de cette affaire. Il y aurait folie à vérifier et examiner scrupuleusement un compte, quand la balance, que je croyais à mon désavantage, se trouve si inopinément et si agréablement à mon profit. Vous voyez, monsieur Osbaldistone, que je parle le langage de Lombard-Street, et que je me prépare à ma nouvelle profession. »

En levant les yeux pour répondre, je rencontrai ceux de miss Vernon, qui était entrée sans être remarquée, et avait écouté attentivement la conversation. Honteux et confondu, je regardai la terre, et j’allai me placer à table et me joindre à mes cousins toujours occupés du déjeuner.

Pour ne pas laisser passer les événements de la veille sans en tirer une leçon de morale pratique, mon oncle en prit occasion pour engager sérieusement, Rashleigh et moi, à nous défaire de notre sotte habitude de sobriété, et accoutumer peu à peu nos têtes à porter la quantité de vin qui convenait à un gentilhomme