Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/91

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vers anglais. Je laissais cette supposition s’emparer si bien de mon esprit, que j’avais déjà ressaisi mon brouillon et je méditais sur les stances que je devais retoucher, quand j’entendis frapper doucement à la porte de ma chambre. « Entrez, « dis-je, et M. Owen parut. Il y avait tant de régularité dans les mouvements et les habitudes de ce digne homme, que, selon toute apparence, c’était la première fois qu’il montait au second étage de la maison, je me demande encore comment il fit pour découvrir mon appartement.

« Monsieur Francis, » dit-il en m’empêchant de lui témoigner la surprise et le plaisir que me causait sa visite, « je ne sais si c’est bien à moi de venir vous répéter ce qu’on m’a dit ;… c’est peut-être mal de parler hors des bureaux de ce qui se passe au dedans ;… on ne doit pas, suivant le proverbe, dire aux piliers du magasin combien il y a de lignes dans le livre-journal ; mais le jeune Twineall, absent de la maison depuis une quinzaine et plus, est de retour depuis deux jours.

— Fort bien, monsieur ; mais en quoi cette nouvelle me touche-t-elle ?

— Attendez, monsieur Francis ; votre père l’a chargé d’une commission particulière, et je suis sûr qu’il n’allait point à Falmouth pour l’affaire des sardines ; les comptes à Exeter avec Blackwel et compagnie sont arrêtés ; les entrepreneurs des mines de Cornwal, Trevanion et Treguilliam ont payé tout ce qu’ils pouvaient payer ; pour toute autre créance il eût fallu consulter mes livres ; enfin, je crois fermement que Twineall est allé dans le nord.

— Le pensez-vous réellement ? dis-je un peu effrayé.

— Il n’a parlé, monsieur, depuis son retour, que de ses bottes neuves, de ses éperons à la Rippon, et d’un combat de coqs à York ;… c’est aussi vrai que la table de multiplication… Fasse le ciel, mon cher enfant, que vous consentiez à ce que demande votre père, à devenir, en un mot, un bon et brave négociant ! »

J’éprouvais en cet instant une violente tentation de me soumettre et de rendre Owen heureux en le chargeant de dire à mon père que je me rendais à discrétion. Mais l’orgueil… l’orgueil, qui est la source de tant de bien, la source de tant de mal dans le cours de notre vie, m’en empêcha. Mon consentement était au bout de ma langue, et pendant que je m’efforçais de l’en arracher, la voix de mon père appela Owen ; il se hâta de sortir, et l’occasion fut perdue.