Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/97

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des chansons, empêchait que l’aubergiste ne vendît trop cher ou se trompât à son avantage, jusqu’à ce qu’enfin, sous prétexte de leur montrer un chemin plus court à travers un champ désert, il attirât ses confiantes victimes loin de la grande route, dans un affreux vallon, où, reprenant son rôle véritable, celui de capitaine de voleurs, d’un coup de sifflet il faisait sortir subitement de leurs repaires ses camarades, qui arrachaient à ses imprudents compagnons de voyage la bourse et peut-être la vie. Vers la conclusion d’une pareille histoire, dont le récit, à mesure qu’il approchait de sa fin, paraissait augmenter les ridicules frayeurs de ce pauvre homme, j’observais que toujours il me regardait d’un œil inquiet et soupçonneux, comme s’il se croyait tout à coup dans la compagnie d’un de ces terribles personnages qu’il venait de peindre. Aussitôt que ces idées assaillaient l’esprit du voyageur ingénieux à se tourmenter, il s’éloignait de moi, prenait l’autre côté de la route, regardait devant, derrière, autour de lui, examinait ses armes, et semblait prêt à fuir ou à se défendre, selon que la circonstance l’exigerait.

Les soupçons qu’il manifestait alors ne me semblaient que momentanés, et trop plaisants pour m’en offenser en aucune manière. D’ailleurs, quoiqu’il me prît pour un brigand, il ne se permettait aucune réflexion sur mon costume et mes manières. Un homme, dans ce temps-là, pouvait avoir l’extérieur d’un gentleman, et n’être au fond qu’un voleur de grand chemin ; car la division du travail dans toute entreprise n’était pas alors aussi marquée qu’aujourd’hui, et la profession de l’aventurier civil et poli qui vous arrachait votre bourse à White’s ou vous l’escroquait à Marybone, s’unissait souvent à celle du brigand avoué qui, dans les bruyères de Bagshos ou les prés de Finchley, demandait la bourse ou la vie à son confrère le dameret. Il y avait aussi dans les mœurs une grossièreté, une insolence, qui depuis ont diminué ou entièrement disparu. Il me semble aussi que les gens auxquels il ne restait aucun espoir, avaient moins de répugnance alors qu’à présent à employer ces moyens criminels de réparer leur fortune. Le temps était loin sans doute où Anthony-a-Wood[1] pleurait en voyant exécuter deux hommes pleins de bons sentiments, d’honneur et de courage, qu’on pendait sans pitié à Oxford, seulement parce que la misère les avait contraints de lever des contributions sur la

  1. Antiquaire d’Oxsford. a. m.