Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/98

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grande route. Nous étions plus loin encore des jours du Prince fou et de Poins[1]. Mais pourtant, telles étaient l’étendue et la solitude des bruyères nombreuses qui environnaient la capitale, et la chétive population des districts éloignés, qu’on y pouvait rencontrer souvent des brigands à cheval (qui peut-être un jour seront inconnus), et qui travaillaient avec assez de politesse. Semblables à Gibbet dans le Stratagème des Beaux[2], ils se piquaient d’être les plus polis des gens qui parcouraient la route, et de se conduire avec toute la courtoisie convenable dans l’exercice de leur état. Un jeune homme de mon espèce n’était donc pas en droit de beaucoup s’indigner d’une méprise qui le plaçait parmi les voleurs de cette honorable catégorie. Au contraire, je m’amusais tantôt à réveiller, tantôt à calmer les soupçons de mon trembleur ; enfin je me plaisais à brouiller encore davantage une cervelle que la nature et la frayeur s’étaient réunies pour ne pas rendre des plus saines. Quand ma franchise l’avait jeté dans une sécurité parfaite, il suffisait d’une question de ma part sur le but de son voyage, et le genre d’affaire qui l’occasionnait, pour remettre tous ses soupçons sous les armes. Par exemple, une conversation sur la force et la vitesse comparatives de nos chevaux prit la tournure suivante :

« Oh ! monsieur, dit mon compagnon, pour le galop, je vous l’accorde ; mais, permettez-moi de le dire, votre cheval est sans doute un fort bel hongre, il faut l’avouer ; mais il a les os trop petits pour être bon marcheur. Le trot, monsieur, ajouta-t-il en éperonnant son bucéphale, le trot est le véritable pas d’un cheval de louage : et si nous étions près d’une ville, je parierais, pour une pinte de claret[3] à la première auberge, de passer votre coupe-marguerite[4] sur une route bien unie.

— Contentez-vous, monsieur, répondis-je, voilà une pièce de terre très favorable.

— Hem, hem ! répondit mon ami avec quelque hésitation, je me suis fait une règle en voyage, c’est de ne jamais essouffler mon cheval entre les relais : qui sait si l’on n’aura pas besoin de toute sa vitesse ? D’ailleurs, monsieur, quand j’ai dit que je voulais bien

  1. Mad Prince and Poins, personnages d’un drame de Shakspeare. a. m.
  2. The Beaux stratagem, stratagème des petits-maîtres, comédie de Farquhar. a. m.
  3. Vin de Bordeaux. a. m.
  4. Terme de course. a. m.