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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 9, 1838.djvu/99

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parler, j’entendais à poids égal : mon cheval a quarante livres de plus que le vôtre à porter.

— Eh bien ! je consens à prendre le surplus : combien peut peser votre porte-manteau ?

— Mon po-po-porte-manteau ? répondit-il en hésitant ; oh ! peu de chose… un rien… quelque chemises et des bas.

— À en juger par les apparences, je l’aurais cru plus pesant, et je parie la chopine de Bordeaux qu’il fait toute la différence de la charge de mon cheval à celle du vôtre.

— Vous êtes dans l’erreur, monsieur, je vous assure, dans une grande erreur, » répliqua mon ami en prenant l’autre côté de la route, comme il faisait toujours dans les occasions alarmantes.

« Allons, je suis prêt à hasarder la chopine ; je parie même dix contre un que votre porte-manteau en croupe, je vous dépasse encore. »

Cette proposition réveilla toutes les craintes de mon ami ; son nez, ordinairement rouge de vin, couleur qu’il devait à plus d’un bon verre de claret, devint pâle et jaune comme cuivre, ses dents claquèrent de frayeur, car une proposition si franche et si audacieuse semblait lui mettre devant les yeux un terrible brigand capable de tout crime. Pendant qu’il cherchait une réponse, je le rassurai un peu en lui demandant s’il connaissait un clocher qu’on commençait à distinguer, et en observant que nous étions alors assez près d’un village pour ne pas courir le risque d’être attaqués sur la route. À ces mots, sa figure s’épanouit ; mais je m’aperçus bien qu’il ne put oublier de sitôt une proposition comme la mienne, qui devait lui paraître si suspecte. Je ne vous ennuierais pas de tous ces détails sur le caractère de cet homme et sur la manière dont je m’en faisais un jouet, si, quoique légères en elles-mêmes, ces circonstances n’avaient eu une grande influence sur les aventures que vous trouverez dans la suite de ce récit. La conduite de cet homme ne m’inspirait alors que du mépris, et me confirmait dans l’opinion où j’étais depuis long-temps, que de tous les penchants qui portent les hommes à se tourmenter eux-mêmes, le plus actif, le plus violent, le plus pénible, et le plus méprisable, est la poltronnerie.