Page:Œuvres mêlées 1865 III.djvu/111

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ses, où le trop d’abondance et de prospérité jette d’ordinaire les personnes de cet âge, quelque bon naturel qu’elles aient. Pour mon particulier, la fortune a pris soin de punir mon ingratitude par les malheurs dont ma vie a été une suite continuelle depuis cette mort. Je ne sais quel pressentiment ma sœur en avoit, mais dans les premiers chagrins qui suivirent mon mariage, elle me disoit pour toute consolation : Crepa, crepa, tu seras encore plus malheureuse que moi.

M. de Lorraine qui l’aimoit passionnément la pressoit depuis longtemps de l’épouser, et continua dans cette poursuite même après la mort de M. le cardinal. La Reine mère qui ne vouloit point en toute manière qu’elle restât en France, chargea Mme de Venelle de rompre cette intrigue à quelque prix que ce fût ; mais tous leurs efforts auroient été inutiles, si des raisons ignorées de tout le monde ne les eussent secondés : et quoique le Roi eût la générosité de lui donner à choisir qui elle vouloit épouser en France, si M. de Lorraine ne lui plaisoit pas, et qu’il témoignât un sensible déplaisir de son départ, sa mauvaise étoile l’entraîna en Italie contre toute sorte de raisons. M. le connétable, qui ne croyoit pas qu’il pût y avoir de l’innocence dans les amours des rois, fut si ravi de trouver le contraire dans la personne de ma sœur, qu’il compta pour rien de n’avoir pas été le premier maître de son cœur. Il en perdit la mauvaise opinion qu’il avoit, comme tous les Italiens, de la liberté que les femmes ont en France, et il voulut qu’elle jouît de cette même liberté à Rome, puisqu’elle en savoit si bien user.