Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/145

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sur les choses les plus importantes de la vie, y fut pour beaucoup plus : les esprits spéculatifs en reçurent la plus vive impression. Mais c’est surtout au spectacle, en effet déplorable, de la lutte ouverte entre les doctrines chrétiennes, qui se disputoient l’empire de la société, qu’il faut attribuer l’influence croissante du scepticisme. La révolte et l’autorité, l’erreur et la vérité, n’inspiroient pas le plus souvent, en ce temps-là, moins d’éloignement l’une que l’autre aux honnêtes gens. À toutes deux, Montaigne répondit : que sais-je ? le doute fut pour lui, un refuge, contre le dogmatisme, catholique ou huguenot : Je hais, dit-il, les choses vraisemblables, quand on me les plante pour infaillibles. Le livre des Essais alloit merveilleusement du reste, aux qualités comme aux défauts de notre esprit national. Montaigne est cavalier, dit un de nos vieux écrivains ; il est gentilhomme, écrivant comme on cause, avec grâce, avec esprit, avec finesse, avec facilité ; énergique par moments, mais pas longtemps, toujours libre, aisé, antipathique à la méthode, laquelle selon lui n’appartient qu’aux pédants. Son livre est éminemment françois. Pascal prétend qu’il cherche le bel air ; il a raison, s’il veut parler de cette allure sceptique qui a toujours été de bon air, en notre pays. Le seizième siècle a donc légué le scepticisme au dix-septième, et cet héritage a rencontré des gens parfaitement disposés à le recueillir. Saint-Évremond a formé sa raison avec Montaigne, qu’il a trouvé dans le manoir de son père, au retour du collège. Les Essais, dit-il, se sont établi le droit de me plaire toute ma vie.

Le dix-septième siècle s’est ouvert avec Charron ;