Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/175

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la mesure. L’épicuréisme renonça, par ses conseils, à soutenir thèse dans les écoles, où tout l’honneur delà discussion alloit aux cartésiens ; sage et discret, il prit refuge dans la pratique individuelle, et dans certains salons où se donnoit rendez-vous tout ce qui restoit d’esprits libres et brillants d’une autre époque. Saint-Évremond en demeura, du fond de son exil, le défenseur le plus accrédité, le représentant le plus autorisé. Il lui prêta l’appui d’un talent en possession de la faveur publique, et d’une considération personnelle devant laquelle tout le monde s’inclinoit, en deçà comme au delà du détroit.

Toutefois il n’oublia jamais les coups que Descartes avoit portés à sa philosophie chérie. « Je voudrois, disoit-il, au maréchal de Créqui, n’avoir jamais lu les Méditations de M. Descartes. L’estime où est parmi nous cet excellent homme m’auroit laissé quelque créance de la démonstration qu’il nous promet ; mais il m’a paru plus de vanité, dans l’assurance qu’il en donne, que de solidité, dans les preuves qu’il en apporte ; et, quelque envie que j’aie d’être convaincu de ses raisons, tout ce que je puis faire, en sa faveur et en la mienne, c’est de demeurer dans l’incertitude où j’étois auparavant. » En un autre endroit, Saint-Évremond s’écrie : « Qu’a fait Descartes, par la démonstration prétendue d’une substance purement spirituelle, d’une substance qui doit penser éternellement ? Qu’a-t-il fait, par des spéculations si épurées ? Il a fait croire que la religion ne le persuadoit pas, sans pouvoir persuader ni lui, ni les autres, par ses raisons. »

Malgré sa modération, Saint-Évremond s’irrite