Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout, enviée de ceux qui n’ont rien, goûtée de ceux qui font consister leur bonheur dans leur raison.... En l’amitié, plus constant qu’un philosophe ; à l’égard de la religion,

De justice et de charité,
Beaucoup plus que de pénitence,
Il compose sa piété.
Mettant en Dieu sa confiance,
Espérant tout de sa bonté,
Dans le sein de la Providence
Il trouve son repos et sa félicité. »

Si l’on songe que Saint-Évremond a prêché ces maximes, peu sévères sans doute, mais à coup sûr délicates et affectueuses, à une noblesse qui dépouilloit à peine les allures violentes des guerres civiles et de religion ; qui, malgré les éminentes qualités d’esprit et de cœur, qui en ont fait la plus généreuse et la plus aimable noblesse du monde, avoit encore les penchants et les goûts d’un âge barbare et grossier ; qui s’enivroit d’habitude, qui aimoit l’orgie, qui avoit la fureur des duels, qui enlevoit des femmes à main armée, en plein jour, au bois de Boulogne ; qui friponnoit au jeu, qui adoroit la vie du chevalier brigand (Raubritter) de l’Allemagne, dont nos rois n’ont pu la tirer qu’en l’appelant à Paris ou à Versailles, où elle trouva une corruption moins estimable peut-être : on pensera que le succès de la philosophie de Saint-Évremond a été un progrès, et que l’aimable philosophe a puissamment contribué à l’adoucissement des mœurs, dans la classe élevée, seule capable alors de la comprendre. Il a civilisé par un sensualisme de bon goût.