Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/315

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de politesse. Au point de vue de ce qu’on nomme le monde, sa société fut érigée en puissance, et la civilisation françoise lui doit, peut-être, quelque reconnoissance.

Le privilége, au reste, ne fut pas exclusif pour Ninon. Mme Cornuel obtint presque autant de faveur, avec moins de titres, quoiqu’elle en eût beaucoup. Voisine de Ninon, habitant un bel hôtel de la rue des Francs-Bourgeois, près des Chavigny et des Soubise, Mme Cornuel formoit avec Mlle de Scudéry, établie d’abord avec son frère, rue de Berry, et rue de Beausse, puis enfin toute seule, rue des Francs-Bourgeois, un tribunal d’esprit fort redouté24. Ninon de Lenclos voyoit Mlle de Scudéry, mais elle l’appeloit une septante, et ce mot charmant acheva de démonétiser cette femme qui à son tour avoit été une puissance spirituelle, dans la première moitié du siècle. On retrouvoit ainsi, au salon de Ninon, et dans la dernière période de ce siècle, les qualités supérieures d’esprit qui avoient caractérisé les femmes de la première moitié. Peu amie des éclats dans l’amour, qui lui paroissoient contraires au bon sens qu’elle adoroit, Ninon n’avouoit, disoit-elle, qu’une seule règle, celle de la nature, n’accordant au monde que celle de la bienséance. Avec cela, elle expliquoit tout, elle pardonnoit tout, hors le scandale. On pouvoit, on devoit être tendre, aimable, accommodant, selon son goût. C’étoit à l’es-


24. L’épitaphe de Mme Cornuel, morte en 1694, se terminoit par ces vers :

Enfin, pour faire, en peu de mots,
Comprendre quel fut son mérite,
Elle eut l’estime de Lenclos.